Désencombrement

Index d’une société à venir, allégée de ses objets

VALENTINE SAINT-MARTIN

Mémoire de Diplôme National Supérieur d’Expression Plastique
option Design
2025-2026
sous la direction de Jean Charles Zébo
ebabx – école supérieure des beaux-arts de Bordeaux


Une introduction méthodologique

Hélène Soulier

D’où sommes-nous partis ?

C’est au cours de master classes d’été où nous avons fait se rencontrer des étudiant et étudiantes paysagistes, architectes, designers et artistes entre 2013 et 2017 que les choses sont apparues. Initialement localisés en France, les premiers évènements pédagogiques Holidays et Vini vindi vinci1 regroupaient des étudiants paysagistes de l’École Nationale Supérieure d’Architecture et de Paysage de Bordeaux (ENSAPBx), des étudiants artistes du groupe Design mixte de l’École Nationale Supérieure d’Art de Bordeaux (EBABx), des étudiants designers du Politecnico di Milano et ont porté respectivement sur les problématiques aquitaines de fréquentation des littoraux océaniques et de territoires viticoles. A partir de 2015, nous avons invité le public des étudiant et étudiantes architectes de l’ENSAP Bordeaux à nous rejoindre et nous sommes dirigés à l’étranger. En 2015 à Istanbul, 2016 à Novi Sad et 2017 à Varsovie, sous le nom de STOP CITY2 la formation des étudiants et des enseignants que nous sommes (coordonnée par Hélène Soulier de l’ENSAPBx et Jean-Charles Zébo de l’EBABx) s’est intéressée à l’espace urbain. Le principe fut le même pour les trois éditions : se déplacer à l’étranger et convaincre une université possédant un département dédié à la création ou au projet, d’arpenter la ville pour en pressentir des sites ou des problématiques de projet et revenir quelques mois plus tard avec une quarantaine d’étudiants en intégrant les étudiants de l’université hôtesse. La master classe démarrait systématiquement sur une ou deux journées de partage de connaissances par des experts de toutes les disciplines confondues ayant un regard sur la ville concernée, encourager les étudiants que nous avions emmenés et ceux qui nous invitaient à constituer des équipes pluridisciplinaires, les laisser partir à la recherche de sites de projet, les accompagner dans leurs productions et produire une exposition finale dans une institution dédiée. Les jeunes artistes, paysagistes, architectes et designers ont alors interrogé les espaces de la ville qui présentaient des fragilités spatiales, sociales, fonctionnelles, politiques en élaborant des productions multiples, nettement ancrées dans une discipline ou au contraire hybrides. Au fil de ces cinq années de master classes, nous partagions alors le constat que le type de projet ou de production était davantage l’effet des problématiques émanant du territoire que le résultat de la composition disciplinaire de l’équipe d’étudiants, de telle sorte que les étudiants architectes ne produisaient pas nécessairement des objets architecturaux, ni les paysagistes des projets de paysage. Les productions de STOP CITY3 nous ont fait prendre conscience que le territoire et la nature des fonctionnements et dysfonctionnements qu’il recelait générait des propositions dont la forme n’était pas anticipée au préalable par les étudiants mais que proposer une production adéquate de projet nécessitait d’interroger précisément sa forme et la nature de la réponse. Selon que les problématiques des lieux étaient d’origines sociale, politique, spatiale, usagère, les types de projet pouvaient varier entre des installations, des aménagements, des services, des rénovations architecturales ou d’espace public, de nouvelles représentations ou en des combinaisons multiples et complémentaires de ces éléments, recombinées encore par la question de l’économie des projets. Les étudiants paysagistes, architectes, designers ou plasticiens partagent des outils, techniques et méthodes similaires sans que cela conduise à une proposition de projet unique et univoque. Face aux territoires, il existe une continuité des approches créatives et de la démarche de projet.

Au regard de cette pratique pédagogique de plusieurs années et ayant fait l’objet d’un article collectif rédigé par les enseignants4, nous avons construit le projet de recherche « les territoires de la création située » financé par la Région Nouvelle Aquitaine dans le cadre de son appel à projets 2019. Le présent ouvrage vise à présenter les résultats de ce projet de recherche coordonné par Hélène Soulier au sein du laboratoire Passage (UMR 5319) avec Aurélien Ramos et Camille de Singly.

Des points de rencontre apparaissent entre la spécificité de la pratique paysagiste du projet et les visées des différents champs disciplinaires depuis quelques années : produire une intervention qui dépende d’un lieu, qui est générée par ce même lieu et qui n’est pas reproductible semble être devenu un type d’action présent dans le design de services mais aussi certains courants artistiques qu’ils soient graphiques ou performatifs. Pour chacun de ces champs, il est bien question d’améliorer un lieu qui comprend ses aspects matériels mais aussi immatériels (pratiques sociales, connaissances des lieux, dynamiques informelles, etc.). Cet aspect de la création, fondamental en paysage, semble avoir contaminé d’autres pratiques. Le second niveau d’analyse porte sur les outils et les modes de travail issus de ce principe : l’expertise du site, le diagnostic territorial, l’enquête de terrain, les productions cartographiques et documentaires, la manipulation de données du territoire, les représentations sous toutes ses formes sont des outils de réflexion ou de production qui font partie du processus de création paysagiste mais sont pratiqués à l’heure actuelle par d’autres concepteurs quand il s’agit d’un projet situé. Dans un mouvement inverse, il s’agit d’analyser comment les paysagistes sont contaminés par les autres disciplines créatives, également d’un point de vue fondamental mais aussi en termes d’outils et de modes de production, d’utilisation de nouveaux médias et d’identifier comment les champs de l’intervention paysagiste en sont ainsi renouvelés.

qu’est ce que la création située ?

Le territoire est devenu le terrain de nombreuses et diverses actions tout en étant le support de questions et d’expérimentations sur la gouvernance, l’action culturelle, l’économie, les pratiques sociales. Il est devenu également un terrain identifié pour la création. Terrain de workshops de réhabilitation des centres-bourgs5, complice de l’organisation de nouveaux services rendus à la population et d’évènements culturels ou artistiques6, le territoire urbain ou rural est à l’initiative de créations réalisées in situ et propres à une demande particulière, initiée par le désir de faire ou par la volonté de dépasser un dysfonctionnement identifié par ses acteurs7.
Par ailleurs, les mutations dans le champ artistique depuis le début du XXe siècle ont conduit à une sortie des pratiques artistiques hors de l’atelier contribuant à regarder désormais les territoires avec les mêmes filtres esthétiques que ceux qui régissaient jusqu’alors l’appréciation des œuvres d’art. Cette « esthétisation des contextes »8 analysée par Martine Bouchier agit non seulement sur le regard porté au territoire mais s’inscrit également dans une logique économique caractéristique de la deuxième moitié du XXe siècle et que Gilles Lipovetsky nomme « le capitalisme artiste ».9 Cela se traduit par l’apparition de nouveaux marchés publics mobilisant l’art comme outil de valorisation, d’activation ou de mise en scène des projets de territoire et par le succès, par exemple, d’évènements tels que les Nuits Blanches, mis en place à Paris depuis 2002, un modèle d’évènement politique et culturel qui a essaimé dans de nombreuses autres capitales européennes. On peut citer également les biennales Agora ou Evento à Bordeaux qui ont témoigné d’une spectacularisation politique de la fabrication de la ville par le biais de productions artistiques visant à modifier la perception des espaces publics urbains bordelais. On pourrait nommer encore les nombreux dispositifs évènementiels, culturels et artistiques mobilisés dans le cadre de projets d’infrastructure (Strasbourg, Lyon Confluence) ou de métropolisation (Nantes, Marseille, Bordeaux) qui témoignent de la mobilisation des pratiques artistiques par les villes comme outil de démocratisation, par l’art, des transformations politiques du territoire.
Deux phénomènes associés à ce type de création in situ peuvent être identifiés. Des collectifs d’artistes, designers, graphistes prennent pour objet le territoire ou le paysage comme fondements, objets ou moteurs de leurs projets. A l’inverse, des collectifs de paysagistes récemment diplômés des écoles de paysages françaises, empruntent à d’autres disciplines telles que la géographie, l’architecture, l’art ou le design des processus de projet, des modes d’action ou des formes de productions tout en s’appuyant sur les fondamentaux de la création paysagiste.
Dans les deux cas, ces collectifs agissent dans le cadre de commandes plurielles appartenant au champ culturel de la création située ou de l’animation territoriale, depuis les années 1990 en ce qui concerne les pratiques artistiques10, plus récemment en ce qui concerne celles des paysagistes.
Il s’agira ainsi d’analyser comment la création située dans le territoire, en attachant des pratiques créatives à un territoire, constitue un vecteur de circulation des savoirs, d’hybridation des techniques et de mobilité des processus de projet entre le champ de pratiques paysagistes et celui des pratiques artistiques.

Un point essentiel concernant l’état de l’art doit être levé au plus vite : le paysage, s’il fut théorisé dès les années 197011 (bien que les productions des paysagistes concepteurs existent depuis longtemps12) n’a cessé, dans sa définition, de prendre des inflexions successives différentes. D’une part, le champ de la géographie, de l’histoire de l’art et de la philosophie offrent des cadres d’analyses variés13, aboutissant aujourd’hui à la définition d’une discipline à la croisée entre les sciences sociales, environnementales et esthétiques dans des proportions variées. D’autre part, les praticiens paysagistes défendent, plus discrètement l’intervention paysagiste comme la proposition d’une action relevant du « projet », comparable au projet artistique ou architectural mais ayant sa spécificité dans le rapport au lieu du projet, le « site »14 et donc au territoire (mais s’appuyant finalement assez peu sur les autres disciplines créatives). Quelques textes seulement englobent les approches théoriciennes et praticiennes. Notre recherche souhaite dépasser cette opposition apparente en considérant le corpus de textes dans sa globalité : auteurs/théoriciens et praticiens fabriquent la discipline du paysage et les séparer plus longtemps ne parait pas pertinent.

Un deuxième point doit être éclairé : celui des disciplines en elles-mêmes. Peut-on encore qualifier les disciplines créatives situées (l’architecture, le paysage, le design, l’art) par le type de dispositifs qu’elles sont censées produire et auquel elles doivent donner forme ? Cela a-t-il encore un intérêt vis-à-vis de la complexité des contextes appréhendés ? S’il est attendu de l’architecture qu’elle doive produire des bâtiments, du design des objets, du design de service des services rendus et du paysage des jardins ou des espaces publics, et si l’économie de marché tient encore à ce type de catégorisation, devons-nous nous en contenter pour penser ces champs d’action ? D’un point de vue général, le projet interroge ce qui rassemble plusieurs disciplines de création située dans le territoire, en interrogeant leur porosité disciplinaire.

Des points de rencontre apparaissent entre les champs de la création et la pratique paysagiste. De sa double ascendance à la fois picturale et géographique15, le paysage constitue aujourd’hui un champ disciplinaire hybride à la croisée des sciences sociales, de la philosophie de l’art et des sciences environnementales. Il partage avec le champ artistique la démarche par « projet » et avec l’architecture et l’urbanisme la spécificité du projet spatial. Parmi les réflexes propres à la démarche de conception paysagère, Sébastien Marot identifie l’attention première au milieu, non pas comme socle matériel mais comme processus en constante évolution. Le projet de paysage constitue tout d’abord en une lecture du territoire dans son épaisseur géo-historique mais également socio-spatiale16. La prise en compte de l’existant ou du « déjà-là » constitue le fondement de la démarche de projet prenant le paysage non comme objet mais comme moyen d’action visant à faire non pas « sur » mais « avec » le paysage17.
Nous faisons l’hypothèse que la nature des commandes publiques de création territoriale constitue un vecteur propice à la dissémination de la démarche paysagère mais également à son hybridation au contact des pratiques artistiques. Ce contexte conduit à l’émergence de pratiques de « création située » .

La création située telle que nous l’entendons est un concept que l’on se propose de forger dans cet ouvrage à partir de textes et de concepts déjà existants. Si la dimension du site ou du territoire (en tant que genèse du projet) est souvent décrite dans le projet de paysage18, elle n’est abordée que partiellement dans les autres disciplines. En paysage, le terrain que le jargon paysagiste nomme le « site » est un ensemble d’espaces matériels (un territoire, un espace public, etc.) à partir duquel le paysagiste va concevoir un devenir19. Des éléments concrets comme le parcours de l’eau, le sol, l’espace bâti, le végétal, etc. constituent une partie des ressources du projet. C’est aussi l’ensemble des données immatérielles (histoire du site, récits des habitants, pratiques, représentations collectives ou artistiques, etc.) qui sera pris en compte dans l’élaboration d’une proposition, d’abord en tant que support d’analyse, ensuite comme fondement à transformer dans une relative continuité : il est question, parfois, pour le projet paysagiste d’infléchir un mouvement qui serait déjà existant20. Dans le champ de l’architecture, le marché et l’ensemble des procédures publiques font qu’il n’y a pas de projet sans terrain au sens où il n’y a pas de projet architectural possible sans l’espace qui accueillera la production architecturale. Dans bien des cas, le site constituera l’enveloppe, le périmètre à investir. En revanche, les architectes revendiquant la notion de « site » comme principal levier ou moteur du processus de projet sont plus rares et le phénomène qui vise à faire table rase de l’espace existant est une voie de projet encore pratiquée : le programme (c’est à dire l’ensemble des données de l’objet à construire) devenant l’arbitre principal de la forme à venir. Quelques architectes s’opposent à ce constat depuis les années 1970 et mettent en avant un ancrage fort de la conception dans le site, et ce à plusieurs niveaux, par exemple sur le plan du récit de la conception, ou celui du chantier comme acte de conception partagée21. La notion de création architecturale collective située peut être regardée à travers les expériences de co-création avec les usagers. A ce titre, les expériences pionnières de Yona Friedman et Lucien Kroll22 peuvent nourrir une réflexion sur la co-conception de l’architecture aujourd’hui (Patrick Bouchain et les architectes Lacaton et Vassal)23, et être élargie à d’autres champs comme le paysage ou le design24. La réflexion menée par l’architecte suisse Pierre Frey à la suite de Bernard Rudofsky25 sur les pratiques architecturales prenant comme ressource et comme matière première leur territoire (spatial et social) d’intervention26, s’inscrit dans cette généalogie de concepteurs « partant du site » pour élaborer le projet. En urbanisme, l’« école territorialiste » italienne et Alberto Magnaghi27 fonderont le « projet local » et feront largement écho à des principes développés dans leur croisement avec le paysage. Dans le champ de l’art, la défense d’une pratique in situ s’est développée depuis les années 1960, avec des mouvements tels que les Situationnistes (développant le déplacement urbain comme un nouveau regard artistique) et des artistes comme Daniel Buren, qui ne donne aucune adresse professionnelle dans ses biographies officielles, se disant perpétuellement in situ. Un nouveau courant de praticiens émerge également en prenant pour objet de regard et d’interrogation systématiquement le territoire : le Land art et des artistes comme Robert Smithson, Francis Alys ou Gordon Matta-Clark. Ces productions ont trouvé des prolongements et des échos doctrinaux chez certains créateurs aux pratiques multiples à la fin du XXe siècle, mêlant des regards et des analyses sur les territoires et proposant de nouvelles manières d’agir ou de répondre à la notion de « projet de conception »28 comme le groupe italien Stalker par exemple. Comme toute discipline de projet, la création graphique s’appuie sur un programme, un cahier des charges, mais pas nécessairement sur un site ou un territoire. Cependant certaines agences et designers graphiques ont choisi d’inscrire leurs productions dans le contexte de l’espace public et contribuent à la fabrication du territoire, à sa représentation et au balisage de ses espaces. Le salon graphique « Design graphique, ville et architecture ? », organisé par le Centre national des arts plastiques (Cnap) et Arc en rêve-centre d’architecture, en octobre 2014 à Bordeaux, a abordé des questions liées à l’inscription des signes dans l’espace urbain. Certains projets emblématiques y ont été présenté : Laurence Madrelle, LM communiquer & associés (Paris), Malte Martin, agrafmobile (Paris), Janna Bystrykh, OMA AMO (Rotterdam)29. Par ailleurs, Ruedi Baur développe depuis de nombreuses années, une recherche et une analyse critique de nos systèmes de représentation contemporaine (représentation d’institutions, d’espaces urbains et de territoires politiques…).30

En matière de recherche pluridisciplinaire, l’accent a été mis à plusieurs reprises sur le lien entre l’architecture, le paysage et l’art, notamment durant la période où se discutait la légitimité du doctorat en architecture, au début des années 200031. L’ouvrage qui en est ressorti et auquel ont contribué plusieurs enseignants-chercheurs architectes issus des Écoles Nationales Supérieures d’Architecture en France défend la spécificité de la discipline de projet, s’appuyant certes sur des pensées académiques identifiées (celles de l’historien, de l’ingénieur, etc.) et leurs scientificités mais développe plusieurs ouvertures sur ce que la notion de projet permet également comme approche particulière. De manière concomitante à la parution de cet ouvrage, le Bureau de la Recherche Architecturale, Urbaine et Paysagère (BRAUP) du Ministère de la Culture et de la Communication lançait des appels à projets de recherche entre 2002 et 200532, en favorisant la rencontre entre les disciplines que sont l’art, l’architecture et le paysage. Dans ces recherches, la rencontre entre deux des trois disciplines a été plusieurs fois étudiée autour de cas d’étude33 en observant comment deux domaines peuvent s’hybrider, augmentant les expertises à la fois de l’une et de l’autre. Parallèlement à cela, Alain Findeli développe depuis plus d’une dizaine d’années des recherches fondamentales sur ce qu’il nomme la « recherche située »34, en réfutant une opposition selon lui devenue obsolète entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée au profit d’une autre, qui serait située et qui se déploierait sans distinction sur ces deux derniers aspects. Si l’aspect « situé » résonne avec nos travaux, l’objectif reste cependant la défense d’une recherche en architecture, ce qui n’est pas notre cas.

En outre, dans un numéro de la revue Les Cahiers thématiques intitulé « Paysage versus Architecture : (in)distinction et (in)discipline »35, il est fait état de la rencontre ou des porosités entre les disciplines de l’architecture et du paysage, quelques articles abordent notre question sans en faire pour autant un point central36. Parallèlement à cela, Emmanuel Négrier relate la manière dont des Parcs Naturels Régionaux ont saisi l’interaction entre l’art et le paysage dans des commandes spécifiques au cours de projets particuliers mais sans le recul analytique sur les fondations disciplinaires37.

quels sont les objectifs de la recherche ?

La recherche « Les territoires de la création située38 » entend renforcer la discipline du paysage comme champ de la création (ce qui n’a pas toujours été le cas), éclairer la rencontre entre la manière dont est défini le paysage comme discipline de conception et occupant une place dans les disciplines de projet39 (et ses pratiques projectuelles associées) et un ensemble de pratiques de création ancrées dans le territoire et prenant pour objet l’intervention dans un site ou l’action sur ses représentations, qu’il s’agisse de celles des habitants, institutionnelles, touristiques, etc. Il s’agit ainsi d’une recherche qui entend porter à connaissance des pratiques de création hybrides intervenant dans le territoire et participant à la redéfinition épistémologique des fondamentaux de la discipline du paysage. Les métissages disciplinaires, le « nomadisme des méthodes, concepts et techniques40 » loin de mettre en péril le paysage comme discipline créative, contribue au contraire à sa constitution autant que champ spécifique.

En dehors de la construction épistémologique de la discipline du paysage, comme support d’entrée de pratiques mais aussi comme « contaminante » d’autres formes de création, il apparaît que le territoire en lui-même semble jouer un rôle tout aussi important que celui des concepteurs. Selon les commandes passées aux collectifs de créateurs/concepteurs et les besoins qui leur sont formulés, nous souhaitons établir la part d’action que chaque territoire, unique, peut jouer dans les projets situés et ses impacts sur les modes de résolution entrepris dans les projets. Comment ce territoire est-il observé aujourd’hui, que renvoie-t-il et quelle est sa part de « cause à effet » dans les actions qu’on lui porte : bref, dans quelle mesure est-il, lui aussi, un acteur ?
La présente recherche repose sur l’hypothèse selon laquelle le territoire constitue non seulement un vecteur de création mais aussi un espace spécifique conduisant à une hybridation des pratiques paysagistes par les champs de la création et inversement. Afin d’analyser les modalités et les finalités de ces transferts de savoirs, concepts et techniques, la recherche s’appuie sur des collectifs identifiés dans la Nouvelle Aquitaine, tous intervenant dans le territoire et ayant un propos sur le paysage et le territoire. Cette recherche repose sur un corpus double : d’une part des artistes œuvrant dans différents champs (spectacle vivant, dessin et graphisme, land art, littérature…) et plaçant la question du territoire et du caractère situé de leur production au cœur de leur pratique ; d’autre part des paysagistes appliquant ou mobilisant des moyens, des outils, des techniques ou des concepts et méthodes issus du champ de la création artistique au sens large. Les objectifs de cette recherche sont d’identifier et de porter à connaissance les nouvelles dimensions de la création située.

comment la recherche s’est-elle construite
dans le temps ?

La première action de la recherche fut de prendre connaissance in situ des neuf œuvres du programme Vassivière Utopia, réalisées à l’initiative du Centre International d’Art et de Paysage de l’île de Vassivière (CIAPV) lors de trois appels à projets successifs entre 2018 et 2020, sous la direction de Marianne Lanavère. Ce projet, Vassivière Utopia correspond au désir de l’équipe du CIAPV de sortir de l’île de Vassivière pour tenter d’insuffler de nouvelles expérimentations et des approches sensibles pour proposer avec les habitants un regard autre sur le paysage et chercher les moyens d’articuler art et société. Le programme fut conçu comme une extension hors les rives du Bois de sculptures et le parcours s’est enrichi pendant trois ans de neuf œuvres41 réparties sur neuf communes situées autour du lac, conçues par des collectifs ou des créateurs uniques alliant les disciplines d’architecture, paysage, arts plastiques et enrichies de compétences singulières selon les projets (maçonnerie traditionnelle, techniques de construction en pisée, etc). C’est pendant ce parcours de découverte des œuvres que des questionnements complémentaires à ceux évoqués lors des master classes pédagogiques sont apparus, confrontés que nous étions aux dispositifs réalisés et très divers.

Les matériaux suivants, hors nos intuitions fondées par l’arpentage des œuvres de Vassivière Utopia, ont été élaborés relativement vite après la période post-covid. Il nous a paru essentiel de réunir un corpus large de pratiques de création située en Nouvelle Aquitaine, explicitées par des créateurs de plusieurs disciplines. C’est lors du premier colloque « Autour des pratiques de la création située. Paysage, architecture, art, littérature » organisé en juin 2021 à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture et de Paysage de Bordeaux que nous avons donné la parole à un certain nombre de créateurs.
Ce moment de colloque constitue un jalon dans l’élaboration d’un premier état des lieux des pratiques de création située puisque les questions sous-jacentes sont : quelles sont les formes de la création située ?, quels sont ses territoires concernés ?, quelles sont les productions réalisées ?, sans que pour autant il n’ait été demandé aux intervenants de suivre un canevas imposé. Chacun d’entre eux disposait de vingt cinq minutes pour présenter un ou plusieurs projets de leur choix sur la base de supports visuels qui permettaient d’accompagner le récit de leurs pratiques et au public de mieux accéder à leurs travaux. Le panel des intervenants a été constitué en visant une diversité de leurs disciplines d’origine et de leurs sensibilités à telle ou telle forme de production, tous ayant néanmoins contribué à des productions en Nouvelle Aquitaine. La liste des intervenants constituait en soi une expérimentation car aucun des membres de l’équipe de recherche n’était convaincu que chacun des intervenants se situait absolument dans le cadre de ce que nous nommions la création située ; en revanche nous avions testé auprès des intervenants leur hypothétique adhésion à ce concept et chacun y a répondu positivement et avec enthousiasme. La palette des intervenants fut ainsi constituée de créateurs individuels ou établis en collectif dans des milieux aussi divers que celui du paysagisme, de l’architecture, des arts (arts plastiques, dessin, gravure) et de la littérature.
Les intervenants du premier colloque sont Corène Caubel, paysagiste et artiste, Blandine Galtier, graveure, le collectif pluridisciplinaire Barge (Véronique Follet), Anne-Laure Boyer, plasticienne, Marc Pichelin, sonographe et responsable d’une résidence pour dessinateurs, Les Espaces Verts (Marion Ponsard et Juliette Duchange, paysagistes et artistes) et enfin Sophie Poirier, autrice.

Sur le même modèle que le premier, un second colloque a eu lieu en octobre 2021 au CIAPV et avait pour titre « Retour sur des créations situées. Programmation, chantier, gestion, réception ». Ce second évènement permettait de mettre en lumière d’autres paramètres que celui de la création en soi et replaçait les œuvres de la création située dans un processus d’acteurs plus étendu et aussi dans un temps élargi en considérant les phases d’avant la conception et celles d’après.
En partant de trois cadres d’actions différents (Art et jardins/ Hauts-de-France, Les Nouveaux Commanditaires et Vassivière Utopia), un certain nombre de témoignages ont été apportés sur quatre moments et questionnements identifiés d’une création située. En premier lieu, la programmation a été interrogée : pourquoi avoir recours à la création située ? quelles sont les nécessités et les besoins à l’origine de ces programmes ? comment ont-ils été montés et quels en étaient les attendus ? (Gilbert Fillinger, fondateur et directeur de l’association Art et Jardins Hauts-de-France, Marie-Anne Chambost, membre du bureau des médiatrices et des médiateurs Arts et Sciences de Nouvelle Aquitaine, Marianne Lanavère, ancienne directrice du CIAPV, Guillaume Baudin et Lucie You, chargés de mission pour Vassivière Utopia). Est venu dans un second temps la phase de chantier : quels sont les dispositifs de mise en œuvre des productions de création située et comment sont-ils mis en place ? qui réalise les productions ? (L’Amicale mille feux / projet Pierres, planches, ruisseaux (Vassivère Utopia) et Véronique Bonnet Ténèze, mairesse de Lacelle, l’Association Éclats de rives, projet La Clairière, Vassivière Utopia). Puis la gestion : à qui revient le rôle de l’entretien de la production ? quels sont les indications et les moyens affectés pour l’entretien des productions ? (Carine Ravaud, régisseuse CIAP et le Relais Insertion Service, Marion Ponsard, paysagiste Les espaces verts, projet Un jardin dans la forêt, Vassivière Utopia). Enfin, la réception : quels sont les effets de cette programmation en général et en particulier ? sur le territoire national et localement ? sur les habitants et sur la politique du territoire ? en terme de critique et de conceptualisation ? (Pomme Boucher, membre du bureau des médiatrices et des médiateurs Arts et Sciences de Nouvelle Aquitaine, Nadine Lafon, mairesse de Lacacpelle-Biron, projet Aujourd’hui (Nicolas Daubanes), Sophie Bertrand, architecte et membre du Conseil d’Administration du CIAP).
L’ensemble des interventions orales des colloques a fait l’objet d’une transcription écrite, fidèle aux propos et à l’expression des intervenants. Aucune modification de contenu n’a été opérée et les citations qui apparaîtront dans cet ouvrage ont, de fait, une tournure orale et spontanée. Ces deux colloques ont constitué un corpus extrêmement fourni auquel nous nous réfèrerons souvent dans la suite des textes après avoir procédé à l’analyse de leurs contenus et ont abouti à l’écriture de deux textes scientifiques issus de chacun des colloques pour mieux définir le concept de la création située.

Nous avons conduit par ailleurs dans le temps de la recherche plusieurs enseignements à l’ENSAP de Bordeaux, adaptés aux niveaux de cursus des étudiants paysagistes qu’Aurélien Ramos et Hélène Soulier avaient en charge à ce moment-là, à noter également que nous étions dans l’obligation d’adjoindre des enseignements aux questions scientifiques que nous souhaitions traiter dans le projet de recherche tel que formulé dans les critères d’acception des projets lancés par la région Nouvelle Aquitaine.

En janvier 2021, Hélène Soulier et Aurélien Ramos organisaient un séminaire intitulé « Paysage VERSUS art » avec quelques étudiants de cinquième année42 de la formation Paysage (DEP 2) dont une première partie se déroulait en résidence au CIAPV et une autre partie à l’ENSAP de Bordeaux. L’enseignement partait du postulat que le territoire est devenu un terrain pour la création. Les mutations du champ artistique depuis le début du XXe siècle ont conduit à une sortie des pratiques artistiques hors de l’atelier, contribuant à regarder désormais les territoires comme des objets paysagers et esthétiques. A partir de l’exploration des créations pluridisciplinaires (architecture, paysage, art, etc) réparties dans des communes adjacentes à Vassivière et des questions que les œuvres suscitent, les étudiants ont pu faire émerger des thématiques de travail communes aux œuvres : soit dans le processus de création (observation de l’existant, rapport au site, relation à la commande, discrimination des éléments de la réalité du site, etc), soit dans les outils mobilisés (utilisation de la cartographie, des matériaux, relation à l’histoire du site, prise en compte de l’« existant », visée sociale ou patrimoniale, etc). Il s’est agi d’identifier des thématiques clés soulevés par ces œuvres (l’insertion, le rapport au site, les ressources, les vues, la gestion etc. Ce travail d’observation in situ était complété par une exploration documentaire et la constitution d’un corpus portant sur la question de la rencontre et de l’hybridation entre les pratiques paysagistes et artistiques sera alors constituée.

Quelques mois plus tard en janvier 2022, de nouveau avec des étudiants de DEP 243, un nouveau séminaire était conduit « La création située. Vassivière Utopia » par Hélène Soulier et Aurélien Ramos et portait sur la notion de représentations des créations situées, toujours en résidence au CIAPV. En effet, après avoir observé la manière dont les créations situées, les œuvres, architectures et projets en général sont communiqués et diffusés, la manière également dont les auteurs, créateurs et concepteurs en général font le récit de leur processus de travail, le séminaire a expérimenté une représentation complexe des œuvres de Vassivière Utopia en intégrant non seulement l’état visible de la création située mais aussi le site dans lequel elle a été générée ainsi que les compétences mobilisées pour la créer. Le travail a abouti à une datavisualisation unique, dans un format proche des cartes courantes de l’Institut National Géographique, recto/verso et construite collectivement par tous les étudiants du séminaire reprenant toutes les œuvres du programme Vassivière Utopia. Cette datavisualisation sera offerte au CIAPV quelques mois plus tard.

Quelques semaines plus tard et faisant suite aux enseignements en résidence à Vassivière, aux deux journées de colloque et aux multiples échanges et réflexions entre l’équipe de recherche et l’équipe ayant participé à la mise en œuvre et au suivi du programme de Vassivière Utopia, au changement de direction du centre d’art, Alexandra Mc Intosh ayant succédé à Marianne Lanavère, la décision d’écrire un Manifeste de la création située s’est imposée, en vertu de sa forme synthétique d’un point de vue conceptuel et textuel et rédigé par le collectif de chercheurs que nous étions et d’acteurs du programme Vassivière Utopia. En février 2022, une journée d’étude a réuni les deux équipes au CIAPV, d’abord autour de l’examen de plusieurs manifestes qui ont jalonné l’histoire de l’art et du cinéma puis autour de l’écriture du manifeste qui s’est affinée pendant les mois qui ont suivi.

A la suite de la notion de représentation des créations situées initiée par les étudiants paysagistes, nous avons choisi d’établir une commande à UBLO (Marine Lecardeur), paysagiste et illustratrice pour tenter d’élaborer un protocole de représentation des œuvres de Vassivière Utopia. A la suite d’un travail en immersion autour de Vassivière, UBLO a pu rapporter des éléments de création graphique différent des images diffusées par le CIAPV souvent issues des créateurs des œuvres.

Parallèlement à ces évènements tantôt pédagogiques, tantôt scientifiques ou créatifs, des comités de pilotage réguliers se sont déroulés au sein de l’équipe de recherche dans une visée réflexive ou prospective sur les zones de recherche, de débat et d’écriture à œuvrer.

pourquoi cette forme d’ouvrage
et que contient-il ?

Au sein de ces comités de pilotage et avec l’idée que les recherches sont orientées vers une possible extension de certaines pratiques du projet paysagiste à d’autres disciplines - et réciproquement -, en nous rendant observateurs des univers de conceptions architecturales, « designées », artistiques et graphiques, il nous a paru fondamental de porter une attention particulière à la forme de la recherche et à sa diffusion. Du point de vue des outils, le dessin (ou redessin de données), l’analyse iconographique, les protocoles graphiques d’enquêtes sur des discours ou des productions concrètes sont essentiels. En matière de synthèse de la recherche, l’article scientifique ou uniquement textuel n’est pas selon nous le seul vecteur de restitution ; au contraire, il empêcherait même une certaine production de recherche de s’affirmer - en tant que paysagistes, créateurs ou observateurs des pratiques créatives (manipulant plusieurs savoir-faire de production), nous sommes en mesure d’élaborer des contenus de natures différentes -, nous avons souhaité élaborer un objet « livre » qui transmet ces points de vue. L’ouvrage présent, comprend, de fait des articles scientifiques, des restitutions pédagogiques, des extraits sélectionnés des propos tenus par les intervenants des deux colloques, une expérimentation de protocole de représentation des créations situées et le Manifeste de la création située, détachable et autonome. Chaque élément de l’ouvrage n’est pas séparable du reste des productions et l’ensemble forme la restitution de notre réflexion dont les leviers de production, les sphères d’actions et d’expression sont nécessairement protéiformes. Il témoigne également d’une expérimentation de ce qu’est la restitution d’une recherche par une équipe dont les compétences scientifiques sont partenaires de tout un tas d’autres quant à leur expression et formalisation. La place de l’image, de fait dans cet ouvrage, n’est pas de l’ordre de l’illustration mais de la recherche qui se fait dans et par le dessin et dont on ne peut pas transformer la part sensible en donnée textuelle sans l’amputer d’une partie de son contenu.

Le présent et premier chapitre traite de l’origine, du déroulé et de la méthodologie de la recherche. Le deuxième chapitre, Interdisciplinarité des pratiques de la création située porte sur une synthèse problématisée du colloque « Autour des pratiques de la création située. Paysage, architecture, art, littérature » organisé en juin 2021 et sur des extraits choisis parmi les interventions des créateurs. Le troisième chapitre Le processus de la création située reprend la même structure que le précedent : un article sur le colloque « Retour sur des créations situées. Programmation, chantier, gestion, réception » (octobre 2021) et des extraits sélectionnés parmi les interventions. Le quatrième chapitre traite de la représentation, présente les travaux des étudiants et le relevé des œuvres de Vassivière par UBLO. Le dernier chapitre, après une introduction, donne à lire le Manifeste de la création située.

qui a contribué à cet ouvrage ?

Les membres de l’équipe de recherche sont au nombre de trois, Hélène Soulier, Aurélien Ramos et Camille de Singly. Hélène Soulier, directrice de la recherche est paysagiste conceptrice, diplômée de l’Ecole Nationale Supérieure du Paysage de Versailles, praticienne en milieux privés et docteure en Architecture sur le thème des friches urbaines44 est actuellement maîtresse de conférences à l’Ecole Nationale d’Architecture et de Paysage de Bordeaux et est auteure de plusieurs ouvrages pédagogiques, d’articles scientifiques, coordonnatrice de plusieurs expositions pédagogiques en France et à l’étranger. Ses sujets portent sur les espaces indéterminés, l’incertitude des paysages futurs et la représentation. Elle est membre du laboratoire de recherches Passages (UMR 5319). Aurélien Ramos est paysagiste et maître de conférences en aménagement et urbanisme à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Il est membre du laboratoire Géographie-cités (UMR 8504). Ses travaux portent sur les pratiques d’aménagement et de gestion de la biodiversité dans les espaces publics urbains. Il est docteur en Aménagement et urbanisme45, s’intéresse aux formes d’interactions ordinaires entre les citadins et la nature au prisme des pratiques de jardinage urbain, de jeu en plein-air et des activités d’entretien. Il interroge comment ces pratiques peuvent contribuer à informer, enrichir et faire évoluer les processus de conception des espaces publics dans la perspective de la transition écologique.
Camille de Singly est docteure en histoire de l’art contemporain et diplômée en muséologie de l’Ecole du Louvre, enseignante en histoire du design et de la bande dessinée à l’Ecole supérieure des beaux-arts de Bordeaux (France). Elle a publié l’ouvrage Freaks, free press et phacochères : Gilbert Shelton hier et aujourd’hui avec Jean-Paul Gabilliet et Pierre Ponant (Ebabx/PUB, 2023), et dirige actuellement Construire un matrimoine de la bande dessinée : créations, mobilisations et transmissions des femmes dans le neuvième art avec Marys Renné Hertiman (Artec/Presses du réel, à paraître en 2024) et un autre sur l’autrice Chantal Montellier avec Vanina Géré et Camille Debrabant (Presses du Réel, 2025). Elle est aussi commissaire d’exposition (« Fabcaro sur la colline » au musée de la bande dessinée, Angoulême, 2022–2023).

A cette équipe de chercheurs ont été associés de manière très resserrée très tôt dans le processus de recherche Didier Lechenne et Marine Lecardeur (UBLO) en tant que designer graphique et paysagiste illustratrice, respectivement pour la conception de l’ouvrage et pour la tentative d’un protocole de dessin des œuvres de la Création Située. Didier Lechenne exerce en tant que designer graphique, développeur et enseignant à l’EBABx. Après avoir obtenu son diplôme de l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris, il a co-fondé les ateliers Labomatic et Ultralab. Depuis lors, il développe une activité indépendante de graphiste et de développeur, mettant son expertise au service de diverses structures publiques ou privées. Son champ d’action comprend la création de sites internet, d’objets numériques, d’interfaces, de publications et d’identités visuelles. En parallèle de son enseignement, il mène une veille active, des recherches et des critiques dans le domaine du design des nouveaux médias. Parmi ses réalisations, on peut citer Rosab.net (une publication numérique), « Le design c’est ? » en collaboration avec Jeanne Queheillard, Talitres (un label discographique indépendant français, site internet) et la direction artistique du 308 pour l’Ordre des Architectes de la Nouvelle Aquitaine. Marine Lecardeur est paysagiste, diplômée de l’ENSAP de Bordeaux en 2013. Elle part faire ses premières années professionnelles au sein d’une agence d’architecture montréalaise et participe principalement à la maîtrise d’œuvre d’espaces publics, de cours d’écoles et de concours d’architecture. Elle expérimente avec son collectif Montréalais ALLLY autour du réemploi dans la construction, fabrique et imagine des installations éphémères dans l’espace public. A son retour en France en 2016, elle travaille en tant que chef de projet au sein de l’agence parisienne Mutabilis, puis intègre en novembre 2018 l’agence Base Bordeaux, elle intervient à des étapes variées de projets et assure également le suivi de chantier dans des projets de maîtrise d’œuvre. Depuis 2021, elle est paysagiste et illustratrice indépendante, et crée Ublo. Développant parallèlement à son parcours professionnel sa technique pour l’illustration et le dessin, ce dernier est devenu un vrai média, un langage de communication.
Enfin, pour la retranscription des deux journées d’étude mentionnées plus haut et afin de recueillir un corpus de textes des intervenants du colloque, nous avons eu recours aux compétences de Stéphanie Malabry, diplômée de l’ESIT (École Supérieure d’Interprètes et de Traducteurs), traductrice de l’anglais et de l’allemand vers le français, spécialisée dans le multimédia et l’audiovisuel (voice-over et sous-titrage).

que pouvons-nous attendre de la recherche ?

Les institutions d’enseignement supérieur dispensant des formations en lien avec le territoire ou l’espace public (Écoles d’architecture et de paysage, Départements de Géographie, École des Beaux-Arts, Instituts d’aménagement, etc) sont très variées. La majorité d’entre elles semble revendiquer une approche thématique et pédagogique légitimée par l’apport de la discipline qui la soutient, en affichant de manière atténuée l’impact d’autres regards. Or, ne serait-ce pas le moment d’opposer à cela une démarche d’emblée prétendue métissée, relative et fondamentalement liée au territoire et aux problématiques qui en émergent ?
Si les acteurs de la transformation de la création liée au territoire ne sont à ce jour pas précisément identifiés c’est aussi sans doute que la Convention européenne du paysage de Florence en intégrant en 2000 les habitants dans la prise en charge de leur environnement et cadre de vie a perturbé la clarté des rôles entre commanditaires, concepteurs, habitants, créateurs multiples, associations, action sociale, animation territoriale, etc. Il nous semble cependant voir poindre une convergence entre des pratiques créatives existantes et des tendances pédagogiques incarnées notamment dans ces expériences multidisciplinaires, quitte à remettre certaines institutions d’enseignement à l’avant-garde des expériences de création sur le territoire. Les formations que dispensent de fait ces institutions sont donc à interroger : elles peuvent analyser des contextes, repérer de nouveaux usages, élaborer des scénarii prospectifs et jouer un rôle d’articulation entre les pouvoirs publics et l’ensemble des potentiels commanditaires d’actions collectives d’une part, les utilisateurs des lieux d’autre part.

Une des applications possibles est d’élaborer un état des lieux des pratiques de création située dans l’objectif de permettre une co-identification : identification par les commanditaires potentiels des acteurs de la création située afin de mieux les mobiliser et identification par ces acteurs de pratiques créatives situées de situations, territoires et institutions comme espace de travail.
Encore relativement émergents, les acteurs hybrides de la création située répondent pourtant à un véritable besoin d’ancrage dans les territoires. Ils peuvent être portés par les collectivités locales notamment en milieu périurbain et rural, poursuivant des objectifs d’inclusion des populations par le biais de dispositif d’animation ou de participation, d’invention de formes créatives affranchies des académismes et s’exprimant en dehors des murs des musées. Cependant, alors que ces acteurs puisent dans différents champs de la création, allant de la conception d’espace à l’œuvre d’art, les commanditaires peinent parfois à les identifier et à les mobiliser autour de projet de territoire. D’un autre côté, les acteurs de la création située, maintenus dans un flou disciplinaire relatif, peinent à répondre aux appels à projets, appels d’offres, missions et autres concours car n’étant pas en mesure de « rentrer dans les cases ». Il s’agira donc au travers du corpus sélectionné, de contribuer à une anatomie du mode de création située afin de mieux l’identifier, la mettre à l’épreuve et la mobiliser à son plein potentiel. La recherche vise à comprendre les contextes de production, les modalités d’exercice ainsi que la portée pour le territoire dans lequel ces pratiques s’inscrivent.
Le travail de recherche repose sur l’analyse à la fois des productions situées (analyse du rapport au « site », prise en compte des conditions du « terrain », connaissance et mobilisation du contexte spatial et social) mais également des discours portés par les acteurs (producteurs-artistes, paysagistes etc.)

La deuxième application découle du travail d’identification du champ spécifique de la création située qui doit permettre une meilleure intégration de ces pratiques et des nouveaux marchés qu’elles génèrent dans les politiques publiques territoriales. La reconnaissance de pratiques à la croisée de l’aménagement et des pratiques artistiques doit permettre de renouveler les modalités de la commande publique. D’une part en ce qui concerne les projets d’aménagement et plus largement de fabrication de l’espace et d’autre part en ce qui concerne les projets dits « culturels ». Le métissage proposé par les acteurs de la création située constitue à la fois un symptôme et une réponse à un contexte de nécessaire reformulation des enjeux sociaux, culturels et environnementaux pour les territoires. Ils ont contribué, petit à petit, à des échelles plus ou moins modestes, à l’apparition de véritables nouveaux marchés, puisant dans des secteurs aussi variés que l’animation socio-culturelle, la pédagogie, l’événementiel, etc. Par capacité à puiser dans différentes disciplines, à se saisir de parts de marchés hétérogènes, ces pratiques créatives situées remettent en question la structure des politiques publiques et proposent une voie alternative, économe et hybride. La recherche permet dans une visée prospective, de contribuer à une réflexion sur l’évolution des politiques publiques territoriales en formulant des pistes permettant à la fois aux institutions de trouver dans les pratiques créatives situées un nouveau levier de mobilisation et d’action tout en permettant à ces pratiques de trouver leur espace d’exercice propre. Il s’agit de vérifier l’application de ces pratiques dans un cadre institutionnalisé et leurs impacts ou retombées économiques éventuelles pour les territoires concernés.

L’intérêt de la recherche est également d’apporter une contribution nouvelle à la manière dont le paysage – en tant que discipline créative – se remodèle depuis quelques années et de porter à connaissance les incidences issues des autres disciplines créatives situées en identifiant les points communs théoriques (l’objet paysage), les outils et les modes d’actions dans les processus créatifs ou les productions et modes de fabrications des projets communs. Parmi ces résultats ouvrant sur une épistémologie du paysage, la notion de territoire en tant qu’acteur de ces projets est également traitée afin de renforcer la connaissance des territoires porteurs de ces actions et leur influence.

Enfin, les retours souhaités sont d’ordre pédagogique. L’équipe de recherche est constituée de plusieurs enseignants appartenant à des établissements d’enseignement supérieur et souhaitent faire circuler les résultats de la recherche dans des enseignements dont ils sont à l’heure actuelle responsables et chez un public d’étudiants ou de jeunes chercheurs.

La collaboration des institutions (à mettre quelque part)

Le projet rassemble trois établissements de la région Nouvelle Aquitaine : le laboratoire Passages (UMR 5319) site ENSAP, l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture et de Paysage et le Centre international d’Art et du Paysage de Vassivière. L’équipe rassemble des chercheurs issus d’un laboratoire identifié dans la région et des praticiens et historiens issus de la société civile mais enseignants dans des institutions d’enseignement supérieur et souhaitant intégrer la recherche appliquée dans ce projet. L’ancrage des pratiques créatives, artistiques et/ou socioculturelles dans le territoire est le fondement de ce consortium.

Le laboratoire PASSAGES UMR 5319 :
Née de la fusion des UMR ADESS (Bordeaux) et SET (Pau), auxquelles se sont jointes des équipes de l’ENSAPBx, l’UMR PASSAGES est organisée en trois sites : Bordeaux-universités, dont le lieu central est la Maison des Suds, à Pessac (118 personnes, dont 47 doctorants au 1er septembre 2015) ; ENSAPBx, dont les locaux sont à Talence (31 personnes, dont 7 doctorants au 1er septembre 2015) ; Pau-UPPA, installé à l’Institut Claude Laugénie, sur le campus palois de l’Université. Construites autour de la place centrale accordée à l’espace, aux lieux et aux territoires, les recherches menées à PASSAGES sont intrinsèquement pluridisciplinaires. L’UMR se structure autour de quatre thématiques principales : Territoire ; Environnement ; Dispositifs de normalisation de la réalité ; Corps et sujets et de trois champs transversaux qui constituent les focales du laboratoire Médiation ; Transition ; Traduction.
Outre ces différences, trois éléments caractérisent les démarches que nous suivons : l’importance de l’ancrage empirique des recherches, et la place qu’occupe la pratique du terrain dans la production de connaissances. L’interaction recherchée avec les acteurs politiques, sociaux et économiques, est nourrie par une pratique de la recherche impliquée s’inscrivant dans le mouvement du projet. Cette interaction s’exprime, notamment, par la mise en place de formes étroites de collaboration dans le processus même de recherche. Le développement d’un processus réflexif qui interroge l’ensemble de la chaîne de production de savoirs. Cette démarche rejoint un questionnement de type épistémologique porté de longue date par les chercheurs de l’unité. Cette réflexivité nous permet une approche à la fois critique et compréhensive des problèmes contemporains.
Si les disciplines et les approches de recherche sont déjà multiples à l’intérieur du laboratoire, la dimension de la recherche en création est embryonnaire. Ce projet entend développer cet axe de manière structurée et pérenne, en outre, la dimension interdisciplinaire y sera augmentée.

L’école nationale supérieure d’architecture et de paysage de Bordeaux :
L’ensapBx (placée sous la tutelle du Ministère de la Culture) est une des deux écoles françaises dispensant les deux formations Architecture et Paysage. Elle semble avoir aujourd’hui un rôle essentiel à jouer en tant qu’écoles interdisciplinaires, illustrant la complémentarité des entrées architecturales et paysagistes dans la conception des espaces et dans la gestion des territoires, ainsi que dans la recherche scientifique en ces domaines. Cette cohabitation de deux formations diplômantes et cette quête de l’interdisciplinarité prend notamment sens au regard de l’évolution contemporaine des processus de projet, à la fois parce que ces derniers mettent de plus en plus en jeu les échanges entre différentes professions et compétences, mais aussi parce que la pratique du projet enregistre les répercussions des nouvelles préoccupations, qui obligent à repenser les formes-mêmes. Forte de ses deux formations (Master Architecture et master Paysage), implantée dans une métropole en pleine mutation, renforcée par des structures culturelles de forte renommée, l’ensapBx contribue à l’émergence d’un pôle aquitain des métiers de l’espace et du territoire où se croisent étudiants en formation initiale, professionnels en formation continue, chercheurs, élus, acteurs des territoires et public élargi.
Par ailleurs, l’ensapBx participe notamment à l’affirmation de cette compétence territoriale dans le cadre de ses collaborations avec l’IATU (masters en urbanisme). Elle est en particulier impliquée dans le projet de centre d’innovation sociétale « Forum Urbain », piloté par Sciences Po Bordeaux et financé par l’IDEX. Dans ce cadre, l’ensapBx envisage la mise en place d’actions communes de recherche sur les questions métropolitaines et le développement de formations interdisciplinaires croisant paysage, architecture, urbanisme, géographie, économie et sciences politiques.

Le Centre international d’art et du paysage de l’île de Vassivière :
Le Centre international d’art et du paysage est un centre d’art contemporain labellisé « d’intérêt national » dont les missions de création et de transmission se déclinent sous trois entités complémentaires :
- un parc de sculptures (le « Bois de sculptures » composé de 60 œuvres d’art public) qui se complète de commandes paysagères et architecturales hors-les-murs dans les villages du territoire via le projet « Vassivière Utopia » et de commandes artistiques dans l’ensemble de la Région Nouvelle-Aquitaine via le programme « Nouveaux Commanditaires » de la Fondation de France dont le centre d’art est médiateur agréé depuis 2017, - un lieu d’expositions qui présente annuellement 3 à 4 expositions d’artistes plasticiens et plasticiennes autour d’enjeux liés au paysage, à l’écologie, à l’aménagement du territoire, dans une architecture labellisée patrimoine XXe siècle, - un programme de résidences de recherche et de création dans le Château de l’île, lieu-ressource sur le paysage, l’aménagement des espaces naturels et la ruralité contemporaine, au croisement de l’art, de l’architecture, de l’anthropologie et de l’écologie.
Le Centre international d’art et du paysage est structure ressource depuis 2002 du PREAC « art & paysage » de l’Éducation nationale – Académie de Limoges. Il est partenaire depuis 2018 de l’École du Jardin Planétaire de Limoges / Licence Professionnelle « Aménagement paysager, design des milieux anthropisés » de la Faculté des Sciences Humaines de Limoges. Il est membre des réseaux nationaux d.c.a (association de développement des centres d’art contemporain) et Arts en résidence, ainsi que du réseau régional d’arts visuels Astre.



Observatoire des pratiques de la création située, entre approche multidisciplinaire, désir de territoire et incertitude

Hélène SOULIER

Si, comme décrit dans l’introduction méthodologique et scientifique, l’histoire de la création située trouve ses origines dans l’univers pédagogique issu de la rencontre entre quelques enseignants de l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture et de Paysage de Bordeaux (ENSAP de Bordeaux), de l’Ecole Supérieure des Beaux-Arts de Bordeaux (EBABx) et du Politechnico di Milano lors de plusieurs master classes en France et à l’étranger entre 2013 et 2017, l’intuition, première guide de cette entreprise - et ressource permanente de la recherche-, s’est associée aux étapes nécessaires du processus scientifique engagé. « Autour des pratiques de la création située. Paysage, architecture, art, littérature » est la première journée d’étude organisée en juin 2021 à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture et de Paysage de Bordeaux et marque le premier jalon de la construction d’un corpus scientifique. Une seconde a eu lieu en octobre de la même année au Centre International d’Art et de Paysage de l’île de Vassivière (CIAPV), elle-même intitulée « Retour sur des créations situées. Programmation, chantier, gestion, réception ». Ces deux colloques constituent un matériau fondamental de la recherche dans la mesure où chacun d’entre eux traite d’aspects différents et complémentaires de ce que nous avions intuitivement nommé la création située.
Faisant l’hypothèse au départ que le territoire, dans le cadre de la création située, constitue non seulement un vecteur de création mais aussi un lieu spécifique conduisant à une hybridation des pratiques paysagistes et des pratiques de conception en général, la première journée interroge la notion de création située entendue avant tout comme un mode de création fondé sur le territoire dans lequel il a lieu, générant des productions par conséquent non dissociables de leur contexte. Le contenu de la première journée aborde des formes de création qui mobilisent ou embarquent le territoire, à la fois comme ressource, moyen et objet de l’œuvre produite et ne concerne que des créatrices et des créateurs tandis que la seconde réunit des commanditaires ayant fondé des programmes de création portant sur le territoire dans des programmes artistiques et culturels variés, des gestionnaires et des observateurs de ce type de productions.

L’échange avec plusieurs créateurs que constitue le premier colloque génère l’élaboration d’un premier état des lieux des pratiques de création située puisque les questions sous-jacentes sont : quelles sont les formes de la création située ? Quels sont ses territoires concernés ? Quelles sont les productions réalisées ? Pour autant, aucun canevas n’est imposé aux intervenants. Chacun d’entre eux dispose de vingt-cinq minutes pour présenter un ou plusieurs projets de leur choix sur la base de supports visuels qui permettent d’accompagner le récit de leurs démarches et au public de mieux accéder à leurs travaux. Le panel des intervenants est constitué en visant une diversité de leurs disciplines d’origine et de leurs sensibilités à telle ou telle forme de production, tous ayant néanmoins contribué à des productions en Nouvelle Aquitaine46. La liste des intervenants constitue en soi une expérimentation car aucun des membres de l’équipe de recherche n’était convaincu que chacun des intervenants se situait absolument dans le cadre de ce que nous nommions intuitivement la création située ; en revanche nous avions testé auprès des intervenants leur hypothétique adhésion à cette ébauche de concept et chacun y a répondu positivement et avec enthousiasme. La palette des intervenants est ainsi constituée de créateurs individuels ou établis en collectif dans des milieux aussi divers que celui du paysage, de l’architecture, des arts (arts plastiques, dessin, gravure) et de la littérature. L’ensemble des interventions orales du colloque a fait l’objet d’une transcription écrite47, fidèle aux propos et à l’expression des intervenants. Aucune modification de contenu n’a été opérée et les citations qui apparaissent dans ce texte ont, de fait, une tournure orale et spontanée.
Afin de faciliter la lecture du texte en cours, une présentation succincte des intervenants et de leurs travaux est nécessaire, pour un repérage conceptuel et visuel des productions exposées lors de la journée d’étude (page en face ou ailleurs voir Didier, textes et images des intervenants).

Blandine Galtier et Hélène Soulier, Archéologie du blanc, 2019–2012
Archéologie du blanc est une recherche menée sur la disparition des friches urbaines, ce « blanc sur la carte de nos villes » des zones délaissées. Elle s’ancre dans la friche ferroviaire de Cracovie située quartier des Aubiers à Bordeaux. A la suite d’une exploration du site menée sur plusieurs mois, et d’une collecte plurielle de traces, relevés et paroles, l’artiste Blandine Galtier et la paysagiste Hélène Soulier ont créé un ensemble de pièces écrites et plastiques. Leur monstration passe par l’exposition.
[Fig. II.1 et fig. II.2]

Corène Caubel, Souvenir d’une plage, mythologie d’un possible littoral, Thouars, 2019
Œuvre pérenne, Souvenir d’une plage, mythologie d’un possible littoral « livre le récit métaphorique du très lointain passé maritime de Thouars et de ses environs » (Corène Caubel). Elle se déploie sur trois communes de la Vallée du Thouet, avec des installations spécifiques, « Les cabines de plage des remparts », « La pêcherie des vignes » et « Le phare des Sablons ». Elle a été conçue par l’artiste et paysagiste conceptrice Corène Caubel en étroite concertation avec les trois communes (habitants, élus, etc.), et avec les ressources locales (matériaux et entreprises).
[Fig. II.3]

Anne-Laure Boyer, Déménagements, 2008–2011.
Déménagements est un travail artistique réalisé par Anne Laure Boyer entre 2008 et 2011 à Floirac, à côté de Bordeaux, à l’occasion d’une opération de démolition et reconstruction de logements sociaux.
L’artiste a constitué un corpus de formes plastiques plurielles : vidéos de démolitions et de déménagements, séries de photographies de portraits et d’objets et meubles récupérés, regroupés dans plusieurs ensembles : « Déménagements », « Permutations », « La boutique souvenirs », « L’appartement ». Ils ont été présentés dans des expositions et édités dans un livre, Déménagements, publié en 2012.
[Fig. II.4 et fig. II.5]

Marc Pichelin pour Ouïe/Dire, Vagabondage 932, Coulounieix-Chamiers, depuis 2017
Vagabondages 932 est un programme de résidence d’artistes mené par Ouïe/Dire sur les quartiers prioritaires du Grand Périgueux, qui s’y déploie depuis 2017. Dans la perspective des travaux engagés sur un ensemble de logements de Coulounieix-Chamiers, un appartement puis un jardin ont été mis à disposition de l’association pour accueillir auteurs de bande dessinée et musiciens. De nombreuses actions (ateliers, expositions, repas partagées, concerts…) ont été menées avec les habitants du quartier, en investissant bar PMU, salles associatives, parcs, etc.
[Fig. II.6 et fig. II.7]

Espaces Verts (Juliette Duchange et Marion Ponsard), Un jardin dans la forêt, Masgrangeas, Royère-de-Vassivière, 2019
Les paysagistes d’Espaces Verts se sont « donné pour mission d’entretenir le monde ». Elles ménagent des espaces au lieu de les aménager. Au milieu de la forêt de Masgrangeas, elles taillent, coupent, nettoient, balaient les éléments pour qu’un jardin prenne forme.
[Fig. II. 8, fig. II.9 et fig. II.10]

Sophie Poirier, Le Signal, Inculte, 2022
« Un jour de novembre 2014, l’écrivain Sophie Poirier découvre Le Signal en compagnie de l’artiste plasticien Olivier Crouzel. » Construit à la fin des années 1960 à Soulac-sur-Mer, face à l’océan, cet immeuble est victime de l’érosion et ses habitants sont expulsés. Pendant plusieurs années, Sophie Poirier suit l’évolution de cet immeuble progressivement abandonné, vidé. Les nombreux témoignages recueillis, les nombreuses histoires de vie reconstruites la conduisent à écrire un livre.
[Fig. II.11]

Dans le Sens de Barge, Barge, depuis 2016
Barge se définit comme « un projet de lieu fluvial d’art et de cultures contemporaines » naviguant « le long de la Seine et de ses affluents, des confins de l’Ile-de-France au Havre ». Embarcation double, bateau à propulsion hydrogène, il accueille un espace d’exposition et de rencontre, des résidences artistiques, etc. Il prend des formes variées, avec des invités et des projets spécifiques (« Utopies Fluviales », « Razzle-Dazzle » avec Jean-Baptiste Sauvage, « Le silence des coquilles » avec Julia Borderie & Éloïse Le Gallo, etc.) et opère des escales de partage.
[Fig. II. 12]

L’analyse des interventions du colloque permet de mettre en exergue quelques points essentiels qui contribuent à définir les contours du concept de création située. C’est en analysant précisément chacune des manières de faire des concepteurs dans ce qu’elles ont de singulier que des convergences apparaissent. Nous illustrerons dans un premier temps la notion de contexte présente dans plusieurs disciplines et d’éco-poétique se rattachant plus sensiblement à la littérature. Dans un deuxième temps, c’est le désir de territoire qui sera mis en avant, repérable chez tous les concepteurs qui ont pris la parole. C’est avant tout le premier vecteur de travail sur lequel s’appuyer dans la création située. Ensuite, les notions de résistances et d’hésitations seront développées et illustrées afin de montrer que le processus de création située n’est en rien linéaire, celui-ci subit en effet des altérations, des résistances et des hésitations notamment dans la relation au territoire si singulier et dans le rapport que chaque concepteur entretient avec sa propre discipline. Seront explicitées par la suite un ensemble de pratiques de conception, chacun des intervenants mobilisant des manières de faire personnelles. A cela s’ajoute la question de l’incertitude de l’ensemble des processus de projet dans le temps. Notre conclusion, en tentant une prise de recul, vise à construire une première synthèse de la notion de création située.

Le contextuel, le relationnel et l’éco-poétique

Créer un panel de concepteurs provenant de sphères de créations aussi variées pouvait apparaître quelque peu effronté. Combiner le paysage, l’architecture et quelques formes artistiques a en soi, quelque chose d’assez logique, c’est lorsqu’il s’agit d’y associer de la gravure, des résidences de dessin et de la littérature que la cohérence peut perdre de sa force, tout au moins en apparence. Commençons donc par cette question des disciplines et de leur rapport au territoire, car il s’agit sans doute l’un des points fondamentaux dans cette histoire de création située. Tous les intervenants expérimentent des projets ou des œuvres dans des cadres parfois éloignés mais tous, sans aucune exception développent une ou plusieurs réalisations qui prennent pour objet de départ un territoire précis. Rien que de très banal pour des paysagistes, phénomène répandu pour des architectes et totalement singulier pour des résidences de dessin, des artistes, des auteurs ou des graveurs. En effet si la discipline des paysagistes concepteurs s’ancre forcément dans un territoire au point que parfois même c’est le territoire qui crée la commande48, la discipline de l’architecture ne pose pas la contrainte du site comme le préalable systématique d’un projet49. Il est davantage question de certains courants de l’architecture revendiquant une posture dite « contextualiste » ; ce que les paysagistes appellent le « site », les architectes l’appellent souvent le « contexte » et en font un élément déterminant du projet d’architecture, une partie intégrante du processus de projet jusqu’à sa forme finale. Dans le champ des disciplines artistiques, il faut mentionner l’ « art contextuel » théorisé par Paul Ardenne50, celui-ci englobe un certain nombre d’artistes comme Daniel Buren ou Christo et Jeanne-Claude, où les productions sont interdépendantes du lieu dans lequel elles sont réalisées. Séparer, dès lors, la production de son environnement n’a pas de sens. Certains artistes proviennent selon nous de processus largement testés dans le land art dès les années 1960 tandis que d’autres dérivent des arts plastiques et déplacent leur intérêt, leurs travaux vers l’espace public ou vers des territoires complexes qui les préoccupent personnellement. Nicolas Bourriaud l’évoque depuis plus de vingt ans lorsqu’il avance qu’une nouvelle forme d’esthétique est apparue, célébrant les interactions humaines, la rencontre, la proximité, l’intimité même sous le titre de son ouvrage L’esthétique relationnelle51. L’intérêt de l’artiste pour un lieu, nous le verrons, sera alors de nature sociale, politique, symbolique, esthétique et même parfois en partie inexplicable, probablement de l’ordre de l’instinct personnel. La discipline de la littérature, sans doute la plus étonnante dans notre étude, se voit malgré tout aujourd’hui interrogée par ses observateurs dans son rapport aux lieux. Entre la poésie marchée, les explorations urbaines depuis les flâneries de Baudelaire et de Walter Benjamin, les dérives situationnistes, ou encore les expérimentations de Georges Pérec, il existe un courant qui concerne des auteurs actuels qui ne s’expriment qu’à partir de lieux, citons par exemple Naissance d’un pont52 de Maylis de Kerangal, Zones53 de Jean Rolin ou encore Un livre blanc54 de Philippe Vasset. Si d’autres auteurs pourraient être cités, leur ensemble compose une branche, l’éco-poétique55 où s’enracinent des textes sur la poésie du lieu, dans ses dimensions esthétique, historique, politique, sociale ou écologique. Sophie Poirier et son avant-dernier roman Le signal56 [Fig. II.11] y trouvent parfaitement leur place puisque l’autrice raconte son amour pour un bâtiment promis à la démolition. Son travail, s’il produit in fine un roman que l’on tient dans notre main, donc mobile, ne peut être séparé du bâtiment dont elle fait le récit de leur interrelation. Sans l’architecture du Signal, pas d’ouvrage. Ce point constitue sans doute une des situations extrêmes de la création située mais nous verrons plus loin dans le texte les raisons qui font que le processus de création de ce roman fait bien partie d’une approche éco-poétique et parfaitement située et qu’il mérite d’être observé.

Le désir de territoire

Que ce soit dit en préambule des interventions, que cela émerge au milieu du propos ou qu’on le saisisse en filigrane, il existe bel et bien un désir singulier entre les créateurs présents au colloque et les territoires qui les préoccupent. Tous arpentent les lieux, s’en imprègnent, l’étudient et sont dans une interaction tout à fait originale. Leurs intérêts pour le territoire ou certains types de lieux échappent à toute tentative de catégorisation tant il en existe. S’il est donc impossible de les classer, il convient malgré tout de les reconnaître et de les décrire.
Corène Caubel, paysagiste, explique pour ses deux projets (réalisés dans le cadre de commandes publiques) que l’ « immersion » dans les périmètres proposés par les commanditaires est précédée d’une phase de recherche cartographique portant notamment sur les couches géologiques des sites qu’elle investigue. Exactement comme Michel Corajoud l’énonce dans sa « Lettre aux étudiants »57, le paysagiste, avant d’aller sur un site, se fait une idée du projet qu’il pourra développer et vérifie sur site la quantité d’hypothèses spontanées qu’il doit abandonner. Il y explique comment, en outre, il doit opérer une « discrimination » entre tous les éléments du territoire en repoussant l’infinité d’informations émanant du réel, trop complexe, trop envahissant. C’est aussi une façon pour Corène Caubel d’aller chercher quelque chose d’invisible, en l’occurrence des structures souterraines géologiques, que l’on peut parfois voir apparaître dans une lecture approfondie des milieux ou des écosystèmes qui se développent dans le territoire. Dans le projet de Thouars, la période historique recherchée par Corène Caubel est un temps datant de centaines de millions d’années où lors de ce passé sous-marin, des poches de roches particulières se sont fabriquées. Après cette recherche de nature cartographique, elle se rend sur le terrain pour débusquer les indices visibles de ces traces géologiques. C’est de cette manière qu’elle prend conscience que les sites issus de sa recherche cartographique ont la particularité de tous se situer à la même altimétrie dans le territoire actuel et réel ; le projet réside ainsi dans le fait de mettre en relation ces lieux particuliers et deviennent précisément les points de localisation du futur projet [Fig. II.3]. En revanche, les éléments qu’elle construit à ces endroits-là évoquent des micro-histoires prélevées dans ces moments d’immersion au contact des habitants des lieux. Si l’on peut parler d’une relation de désir à son territoire, Corène Caubel l’incarne dans le fait de « révéler » une dimension géologique antérieure et constituante du site mais devenue imperceptible.
« Révéler » les dimensions cachées d’un territoire est un des actes fondateurs du processus de projet paysagiste, largement enseigné dans les écoles de paysage58, se rapprochant aussi d’une œuvre hétérotopique dans le sens où le projet va pouvoir mettre en co-présence plusieurs espace-temps dont certains ne sont plus accessibles.

Blandine Galtier, quant à elle, évoque d’emblée ses sites de prédilection que sont les lieux industriels, les chantiers, les infrastructures et les friches59 qu’elle aborde sous l’angle de leur anthropisation et dont elle tente d’en révéler la poésie [Fig II.1 et fig.II.2]. Ces lieux-là la fascinent et il y a selon elle quelque chose d’instinctif à vouloir absolument les représenter. Leurs dimensions, leur aspect graphique, les architectures et les outillages qu’ils recèlent sont autant d’éléments qui retiennent son attention. Anne-Laure Boyer revendique elle aussi un intérêt pour les situations « sans dessus-dessous », notamment les démolitions, les ruines, les chantiers et les lieux interdits en règle générale. Elle présente son travail photographique avant le relogement d’habitants de Floirac, au moment où ils sont sur le point d’être délogés [Fig. II.4 et fig. II.5]. Elle porte la conviction que « les lieux ont beaucoup de choses à nous dire et dégagent beaucoup de "radiations” », elle rappelle comment des « moments de notre vie sont intimement attachés à des objets ou des lieux, que ça fait trace ». Son désir est de l’ordre de l’action mémorielle : « Et vous imaginez bien que, au moment où il y a la démolition, et que parfois, vous attendez peut-être plusieurs années avant de savoir exactement quand vous allez partir, où vous allez partir. Pendant ce temps-là, le lieu se dégrade, parce qu’à quoi bon l’entretenir ? C’est là que je me suis dit que j’avais un indicateur de justesse par rapport à la proposition que j’avais formulée, parce que toutes les images qu’on produit sont des actes symboliques, les gestes artistiques qu’on produit produisent aussi du symbolique et il faut être quand même assez conscient de ça et faire attention à la portée symbolique des gestes qu’on va apporter, surtout dans des moments délicats. Là, ce sont des moments délicats ». Elle agit dans un moment qu’elle qualifie de « violent », où l’on demande à des habitants de se séparer de leur logement : « je me dis qu’il y aurait peut-être quelque chose à faire dans la trace qu’on peut garder et puis, moi, rentrer à l’intérieur de ces endroits et photographier ce qui se passe et ne serait-ce que montrer ce qu’il y a dedans, ce qui se passe dedans et pas juste ce qu’on voit de l’extérieur, c’était déjà une manière de retourner un peu la situation aussi et d’offrir un miroir autre, d’ouvrir des portes, quoi, décloisonner ». Son acte est donc de nature mémorielle, réactionnelle, symbolique. Elle agit sur l’intime relation de l’humain à ses lieux d’habitation.

Marc Pichelin, lui, revendique un désir plus politique, de l’ordre de l’expérience d’un quartier prioritaire (QPV), la cité Jacqueline Auriol à Coulounieix-Chamiers au sein de laquelle il revendique sa posture de création comme vectrice d’une transformation sociale en fondant la résidence Vagabondage 932 : « J’avais envie de redécouvrir le territoire que j’habite en sortant un petit peu des circuits, enfin des sentiers battus autour des espaces que je traverse habituellement pour le boulot ou pour les habitudes familiales et d’aller l’explorer un peu autrement, justement en cherchant les chemins de traverse et en allant voir un peu ce qui se passe à droite à gauche ». En tant que responsable de la résidence ouverte à des illustrateurs principalement, Marc Pichelin tient à accueillir des artistes qui n’ont pas de projet particulier et les met au contact de ce quartier. « S’ils ont un projet, ils restent à la maison et s’ils ont une idée de ce qu’ils vont rencontrer, ce n’est pas la peine qu’ils viennent. Je les imagine le plus vierge possible de la situation et je leur demande de venir se mettre en situation et de travailler avec ce qu’il y a là. On dit souvent, sur ces projets… en tout cas, sur ces situations, pour le coup… que quand on a une idée et qu’on a un territoire, on se retrouve vite avec un truc en trop. Soit on a une idée, puis le territoire nous dérange, parce qu’il ne veut jamais rentrer dans le cadre de ce qu’on voudrait faire, qu’on avait imaginé faire, il faut toujours tordre le territoire pour arriver à le faire rentrer dans le projet. Soit on a un territoire et si on a une idée, on ne peut pas se mettre à l’écoute, on ne peut pas se mettre en perception de ce territoire-là ». Il demande ainsi aux artistes d’« être en relation »60 avec les situations, le quartier, les personnes qui l’occupent et les événements quotidiens. Il n’y a donc aucune planification de projet préalable. C’est de cette manière que l’« Apéro Murette » s’organise, afin de perpétuer et de consolider une pratique de quelques femmes de la résidence qui viennent s’asseoir sur un muret en pied d’immeuble en fin d’après-midi. Dans un autre cas, lorsqu’une mobylette brûlée qui a séjourné quelques temps sous un auvent est enlevée, Laurent Lolmède (un des illustrateurs de la résidence) choisit d’afficher grandeur nature le dessin de la mobylette calcinée à l’endroit où elle se trouvait, rendant l’objet fantomatique et alimentant encore les discussions du quartier à propos de l’évènement [Fig. II.6 et fig. II.7]. Si Marc Pichelin évoque être au plus près de l’expérience des lieux et dans une sorte d’écoute permanente doublée d’une extrême vigilance pour développer des créations, dans un art relationnel revendiqué, il réduit ainsi au maximum l’écart entre le territoire et le projet. Le processus de l’idée et du territoire sont réduits à une démarche beaucoup plus immédiate, qu’il nomme l’« immédiation » comme par exemple à propos d’un illustrateur qui réalise des propos sur le vif d’habitants du quartier : « Laurent, toujours créateur, donc il fait son dessin, mais il fait un dessin avec quelqu’un qui est en face de lui, donc la personne peut voir le dessin, donc il se diffuse tout de suite, parce qu’on le colle sur la vitre et tout le monde peut le voir et il peut lui-même expliquer pourquoi il travaille comme ça. Donc il fait un travail de médiation. Moi, j’appelle ça un travail « d’immédiation », plutôt, c’est-à-dire qu’on est immédiatement dans une relation avec la personne ». Ce qui revient à une « immersion » que d’autres créateurs ont signalée mais plus immédiate, plus instinctive, où le processus de projet réside moins dans la justification de son élaboration que dans une action rapide et opportune.
Sophie Poirier, autrice du roman Le Signal61, découvre le bâtiment de logements abandonné au cours d’une déambulation alors qu’elle doit rédiger un article pour le magazine Junkpage. L’érosion du cordon dunaire atlantique et le retrait progressif du trait de côte ont généré précédemment un arrêté de péril du bâtiment menacé par les tempêtes successives, conduisant à une évacuation de tous ses habitants. Elle tombe littéralement sous le charme du bâtiment, au sens littéral, « c’est à dire dans la magie, en tout cas dans une sorte de sortilège, d’un immeuble qui est isolé, abandonné, encore un petit peu en front de mer à Soulac, dans le Médoc ». L”horizon de sa destruction inévitable provoque un attachement unique entre l’autrice et le Signal, elle se dit au départ qu’il s’agit d’une relation d’inspiration, qui devient obsessionnelle et qui peu à peu construit un roman. Au fur et à mesure de ses visites sur place, l’immeuble est amputé de tous ses éléments de mobilier, d’isolation, de menuiseries et se désosse petit à petit. Entre 2015 et l’écriture du roman, Sophie Poirier dit avoir développé une affection pour lui, « Quand il y avait des tempêtes, je me disais : « Oh là là, le pauvre, il est tout seul ». Dans les hésitations que l’autrice dit avoir eues, elle mentionne le fait de s’autoriser ou non cette appropriation : « Et dans ces questions de territoire, il y a une question, moi, qui m’est venue aussi, c’était : en fait, à qui ça appartient un lieu comme ça ? […] Est-ce que ça appartient à ceux, comme moi, qui sont plutôt des rêveurs qui se l’approprient, qui l’aiment un peu, comme ça, pour des raisons très intimes ? Est-ce que ça appartient à ceux qui ont habité là ? Est-ce que ça appartient aux décideurs ? ». Il s’agit en fait d’une interrogation délicate que Sophie Poirier énonce face au triste destin d’un bâtiment construit en période de pleine croissance et d’optimisme, dont l’objectif était la propriété d’une résidence avec vue sur mer.

La plupart des intervenants, quelle que soit leur forme de création, énoncent ainsi rapidement une forme d’intérêt pour des espaces ou des situations socio-spatiales singuliers qu’ils rencontrent de manière ponctuelle ou qu’ils ont pour habitude de traiter, parfois jusqu’à l’obsession. Dans tous les cas, ils transmettent tous un désir d’approcher ces territoires, de les traiter, de « faire avec » eux en révélant, célébrant les qualités qu’ils recèlent.

Résistances et hésitations

Si Jacques Rancière nous livre que l’art actuel se définit par le fait que « toutes les compétences artistiques spécifiques tendent à sortir de leur domaine propre et à échanger leurs places et leurs pouvoirs »62, il va de soi que seules les caractéristiques dites contextuelles ou éco-poétiques des disciplines ne peuvent à elles seules définir un ensemble que serait la création située. Il convient alors d’entendre ce que les créateurs de la journée d’étude disent d’eux-mêmes vis-à-vis de leur discipline d’origine et de ce qu’ils sont. Seules deux d’entre eux, Véronique Follet et Sophie Poirier se présentent respectivement comme architecte et autrice sans aucun qualificatif complémentaire. Tous les autres se revendiqueront d’une part par leur formation d’origine mais également par une autre qualité, « artiste » par exemple ou déclarant une fonction dans une organisation comme « responsable d’une résidence d’artistes ». Ceci annonce déjà dans le récit de leur travail et d’eux-mêmes une expérience de métissage : « paysagiste artiste », « paysagiste jardinière », « architecte et graveure » comme si les attendus de la discipline d’origine avaient besoin d’une extension et qu’il était nécessaire de l’énoncer avant toute chose. Si ce point est relativement formel, il en génère un second, plus sous-jacent. Nombre des intervenants formulent en effet dans leur propos une forme de remise en cause ou de contestation des cadres de projet tels qu’ils sont développés dans le monde contemporain et/ou dans leur discipline, ou à l’enseignement qu’ils ont reçu, ou aux pratiques valorisées et encouragées au sein de leur discipline.
La première insatisfaction notée se situe au niveau de la commande de projets dans les arts plastiques et le paysage. Anne-Laure Boyer évoque des cadres d’appels à projets artistiques trop fermés : « c’est vrai que c’est difficile de répondre à des appels à projet qui demandent une écriture de projet préalable, parce que pour faire ça, en fait, quand on est en prise avec un territoire, il faut y aller, il faut connaître les gens, il faut prendre le temps, il faut voir comment sont faits les lieux, mesurer les forces qui sont en présence, se remplir de tout ça et ensuite esquisser des choses et les réajuster au fur et à mesure. Mais ça, on ne fait pas ça en quinze jours en voyant un appel à projets et en faisant une réponse avec un projet préécrit. En tout cas, moi, je refuse. Je ne peux pas, je ne peux pas, je ne peux pas ». De la même manière, Marc Pichelin déclare ne pas non plus répondre à des appels à projet en revenant sur les productions artistiques de notre société contemporaine : « c’est quand même toujours l’idée qu’il faut qu’il y ait un objet qui soit apparent et l’artiste, on lui demande de produire des œuvres et de se mettre en situation de les vendre. Et il prend de la valeur en fonction de comment son œuvre est vendue. Donc ça, c’est une façon d’être artiste, qui est déjà très ancienne, qui date un peu de Beaumarchais, on va dire, avec la question du droit d’auteur qui a été créé à la fin du XVIIIe siècle. C’est une chose qui s’inscrit dans un univers capitaliste qu’on connaît bien, libéral, qui a créé des situations qu’on connaît bien aujourd’hui d’intermittents du spectacle, avec des questions de précarité, où on demande aux gens de se vendre et de fabriquer des œuvres pour essayer de vivre leur vie ». A un autre moment de son intervention, il ajoute : « Et c’est aussi par rapport aux institutions… en tout cas par rapport aux institutions qui suivent les projets culturels, il y aurait plus de confiance à s’octroyer, parce qu’on est vraiment trop dans des protocoles de financement qui sont hyper contraignants, qui viennent justement de ces cultures de projet, de résultat, des protocoles et machin, qui font qu’on n’a plus d’espace un peu libre pour travailler. » Du côté du paysage, Juliette Duchange du collectif Les Espaces Verts évoque sa déception en sa qualité précédente de maître d’ouvrage : « Moi, ça m’intéressait extrêmement de passer dans l’envers du décor, d’être un peu en amont et de voir d’où part l’argent, comment on peut, à cet endroit-là, essayer de changer les choses, de les fabriquer autrement, de faire que la commande se passe d’une autre manière, qu’elle soit rédigée d’une autre manière, qu’elle invite d’une autre manière. Mais évidemment… enfin, non, pas évidemment, ce n’est pas évident… ce sont des lieux hyper inertes, ce genre d’administrations, donc il y a une excitation du départ qui a quand même vachement décru et qui est devenue à la limite presque un peu désespérante au bout d’un moment… de se rendre compte qu’en fait, les choses ne bougent pas ». Celle-ci fait également part, plus loin dans son intervention, d’un recul au regard des enseignements que les deux membres du collectif ont reçu à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture et de Paysage de Lille : « On s’est formées à l’École Nationale Supérieure d’Architecture et de Paysage de Lille à partir de 2006 et pour un peu resituer ce qu’a été l’enseignement qu’on a reçu : nous, on se raconte qu’il y a 15 ans à peu près, quand on a commencé ces études, aux yeux de nos enseignants, ce qui était à ce moment-là important, c’était que le paysagiste, il reprenne vraiment une place un peu forte aux côtés des architectes, aux côtés des urbanistes, qu’il s’affirme. C’était vraiment le moment, qui l’est toujours, de cette espèce de mode des très grands projets urbains et il fallait vraiment que le paysagiste devienne indispensable à cet endroit-là. Il fallait effacer un peu l’image des rêveurs, des plantes gentilles et vraiment aller réussir à parler déblai-remblai, oser couper des arbres, manier le plein et le vide, on était vraiment dans ce genre de questionnement-là […] Mais en tout cas, on s’est retrouvées toutes les deux avec Marion (Ponsard, ndlr) en 2019 avec vraiment une envie assez forte de prendre l’air, envie de quitter le bureau, de fermer les ordinateurs et vraiment de changer de posture. On n’était plus vraiment à l’aise dans ce monde de l’aménagement de l’espace, ce monde un peu extraterrestre, et on avait vraiment une envie de retrouver le sol, le sous-sol, de revenir sur terre. Donc, comme ça, à contre-pied presque de ce qu’on avait reçu comme apprentissage quelques années plus tôt, on est allées rechercher plutôt justement la figure du jardin, celle du jardinier, celle du jardinage pour nous accompagner à essayer d’opérer pour nous une espèce de révolution, pour passer de cet aménagement de l’espace, justement, à quelque chose qu’on pourrait appeler « le ménagement du monde » : aller rechercher plutôt l’action, le faire, la petite échelle, la question du sensible, du vivant. Avec ça, on a toutes les deux formé Les Espaces Verts ». [Fig. II.8, fig. II.9 et fig. II.10]

De tous les domaines que Blandine Galtier a exercés entre l’architecture, le design graphique et la gravure, elle en souligne les dénominateurs communs : le projet et l’image. Elle évoque cependant que les temporalités de l’architecture et de ses marchés publics sont bien trop longues pour elle et que le design graphique, quant à lui, reste trop immatériel. C’est sur ce constat de plusieurs années de pratique dans ces champs qu’elle décide de travailler à la fois dans des processus plus rapides et aussi dans une matérialité qui s’oppose au design numérique. Elle se rend alors compte que c’est sa corporalité qu’elle veut comme fondement de sa création, ce qui sous-entend travailler avec la main et à son échelle. La gravure devient ainsi son média de création. Elle fait le choix de manipuler des plaques de métal à graver qui mesurent 60×80 cm et pas davantage, ce qui est le résultat de nombreux tests physiques où son corps dans ce qu’il peut porter et des gestes qu’elle peut activer est déterminant au regard de son travail. Mais pas uniquement. Son attraction pour les lieux en friche, les infrastructures, les chantiers résonne également dans le choix de la gravure. La technicité de la gravure qui engage la trace de gouges sur le métal et l’effacement progressif des encres au fur et à mesure des passages sous presse fait directement écho avec ces lieux qu’elle affectionne dans leurs esthétiques graphiques et la question mémorielle qu’ils activent dans la ville. Arriver à la gravure a donc été le résultat d’un long processus au travers de plusieurs disciplines qui ont fait se conjuguer son intérêt pour des lieux et une « physicalité » plus prégnante dans la création. Il lui a donc fallu quitter plusieurs fois une discipline pour mieux entrer dans une autre, ce qui engage nécessairement des choix personnels forts et un inconfort. Du côté de la littérature, Sophie Poirier développe les hésitations littéraires qui sont apparues lors de son travail d’écriture, elle fut en effet tiraillée entre une écriture romanesque et le documentaire ou la fiction pour évoquer son lien avec le Signal. Elle optera finalement pour une forme hybride et non conventionnelle avec une première partie documentaire dans laquelle elle renseigne tout un contexte historique d’aménagement du territoire des villes du littoral aquitain et des pratiques de tourisme océanique pour basculer par la suite dans une partie plus fictive et imaginaire.

Les créateurs évoquent pour beaucoup une réactivité à leurs formations ou à des pratiques de leur discipline d’origine, prenant parfois des allures de résistance. Le rapport à leur discipline et à ses modes d’exercices professionnels pourrait-on dire, ne se revendique pas nécessairement comme marginale ou alternative mais dans une observation fine d’un état et en signalant des manques, des imperfections voire des absurdités qui peuvent leur apparaître. Il semblerait que le rapport qu’ils entretiennent avec le territoire dans sa complexité (esthétique, intime, sociale, politique, poétique, etc.) fasse émerger cette résistance et motive des créations spécifiques et nécessairement innovantes, en passant par des moments de recherches et d’hésitations pour accomplir leurs projets.

Les diverses pratiques de conception, de production et de monstration

La photographie tient une place particulière au sein des travaux en général. Si Anne-Laure Boyer l’utilise dans son œuvre Déménagements pour produire un acte symbolique à la fois dans un phénomène socio-urbanistique qu’est le déménagement et le relogement d’habitants et qu’elle produit volontairement un souvenir (le « ça a été de Roland Barthes)63 en prenant une photographie des habitants dans le logement encore habité qu’ils vont quitter, Blandine Galtier quant à elle, évoque sa manière de travailler préalablement à la confection des pièces de gravure. Au départ du processus de découverte d’un site, elle explique comment elle capte des « instantanés » avec la prise d”un grand nombre de photographies. Elle compile alors une sorte de « librairie » intuitive d’instants en plan large puis en zoomant au maximum jusqu’au prélèvement de textures du paysage (sols, débris, végétaux, détails architecturaux), tout comme elle ramasse des plantes pour constituer un herbier. Ceci lui permet d’ouvrir ses champs d’observation et d’une certaine manière de ramener le site dans son atelier et de pouvoir consulter après coup l’ensemble des images photographiques. Si le dessin (qu’elle pratique depuis très longtemps) ne lui apparaît plus comme un outil adapté dans les étapes préliminaires à la gravure, c’est que selon elle, la main qui dessine crée une mémoire. Dessiner revient, selon elle, à trop analyser et à fabriquer une mémoire du tracé, de la compréhension des lieux et de sa synthèse et à produire une mémoire par le geste de la main qui serait embarrassante pour le passage à la gravure. Elle s’est donc écartée de ce média pour être vierge de tout geste engrammé lorsqu’elle sera prête pour la gravure qu’elle prépare à l’aide de schémas de systèmes et/ou de processus et de tests successifs.
Elle dit par ailleurs chercher à comprendre ce qui la touche tant dans ces lieux. Elle explique comment trois parties structurent son travail et pour le projet Archéologie du blanc (Fig. II.1 et fig. II.2]), elle emploie les termes successifs d’« Anatomie de la friche », d’« Immersion » et de « Fantasme ». L’« anatomie » est le temps de décomposition des éléments de l’espace, l’« Immersion » est la longue période de réflexion, une fois le site « ramené en atelier », le « Fantasme » étant le temps long et intime de la création de ses gravures. Son discours, même métaphorique, est imprégnée de la technique de la gravure et elle voit dans la friche sur laquelle elle travaille (les « blancs » de la carte) une similarité avec la technique de la gravure qui creuse le blanc et qui s’estompe au fur et à mesure des passages sous la presse. Son travail aboutit à une suite de tirages successifs à partir d’une planche initiale, dont le rendu s’estompe au fil du temps. En présentant les gravures successives, il y a une sorte de mimétisme de ce qui se passe en réalité dans le site de la friche et plus généralement dans ce type d’espaces, un état urbain à l’abandon ou un temps de latence dans l’aménagement qui permettent à un relatif « sauvage » de réapparaître et puis à nouveau, un programme, des constructions et la disparition de la friche. Son désir du lieu est tendu vers une célébration de la disparition dont elle trouve la formule pour recréer une disparition graphique suite aux passages sous la presse. Le procédé technique traduit manifestement un processus urbain invisibilisé, celui des friches cachées, des espaces indéterminés, des blancs de la carte au sein desquels pourtant Blandine Galtier trouve un ensemble de poésies.

Pour l’équipe constituée d’illustrateurs par Marc Pichelin autour de Vagabondage 932 à Coulounieix-Chamiers, si l’on a vu que c’est avant tout un opportunisme vigilant qui conduit les actions à mener et qu’aucun des artistes n’arrive avec un projet ficelé au préalable, la dimension politique de cette résidence fait que les productions prennent place dans l’espace du quartier. Dès lors, le type de production est totalement ouvert et se déroule en fonction des micro-événements qui ont lieu dans le quartier. Tout devient matière à projet, à création, à petite ou grande échelle : « On peut aussi être artiste autrement, c’est-à-dire qu’on peut aussi être artiste en circulant dans un quartier, en proposant de faire des portraits des habitants pour voir un petit peu qu’est-ce que ça fait, en produisant un journal de quartier, comme on le fait, en créant une situation d’atelier avec des enfants dans une école, en créant des relations d’exposition, dans un bar PMU, dans un kebab, comme on le fait chez nous ». Mais la monstration, que l’on peut envisager comme de l’affichage, de l’exposition, de la performance devient aussi un enjeu situé et s’organise en fonction des ressources du quartier hors des circuits conventionnels des marchés ou procédures culturelles habituelles. Un quartier qui pourrait apparaître comme déficitaire de structures publiques liées à la culture devient un terrain d’innovation et de déplacements des représentations habituelles. « On a l’avantage et l’inconvénient de ne pas avoir, sur ce quartier, d’équipement culturel. Il n’y a pas de cinéma, il n’y a pas de théâtre, pas de centre culturel, alors du coup, c’est le quartier qui est un espace culturel, parce que tous les espaces sont culturels, et toutes les personnes sont des personnes sensibles – voir la loi NOTRe64 et les questions des droits culturels – et ce n’est pas parce que les gens sont nés dans des quartiers difficiles, réputés difficiles, « sensibles », comme on dit aujourd’hui, que ce ne sont pas des personnes sensibles, que ce ne sont pas des gens intéressés par la question culturelle. Donc on part de ce constat-là, qu’à chaque endroit de ce quartier peuvent émerger des choses et on essaie de travailler la question d’œuvre, de réalisation appropriée, appropriée à ces espaces-là et on n’arrive pas avec nos gros sabots en disant : « Voilà, on va mettre un chapiteau, parce qu’il n’y a pas de salle de spectacle et on va demander aux gens de venir nous admirer. On essaie de trouver des situations qui permettent aux gens de co-construire le projet avec nous et de le porter avec nous. Nous, on n’a pas de salle d’expo, donc encore une fois, on a fait une expo, depuis maintenant quatre ans dans un bar PMU, qui nous a donné une petite salle derrière le bar. C’est une expo qui a déjà connu sept vernissages. C’est toujours la même expo, mais c’est une expo qui est évolutive. Elle change, il y a des choses qui sont rajoutées, qui s’enlèvent, etc. On peut convier les gens du quartier, régulièrement, à venir voir un petit peu où en sont les artistes. On fait des expos directement sur les murs du quartier, aussi, puis on fait beaucoup de performances, de concerts, de choses qui sont plutôt des choses du spectacle vivant et dans des situations différentes : on a des jardins dans lesquels on peut travailler, on a des espaces publics, parkings, etc. On invente, en fonction des espaces qu’on trouve, qu’on nous prête, comment on peut co-construire ces émergences ».

Pour Juliette Duchange et Marion Ponsard du collectif Les espaces verts et contrairement à d’autres pratiques de paysagistes, ce n’est pas la cartographie ou le dessin qui sont les outils favoris de la conception. L’approche est plus intuitive dans la sélection du lieu sur lequel elles vont travailler car il doit correspondre à un potentiel de transformation particulier. « On a à peu près 150–200 m² et puis on se donne le principe, à partir de là, que rien ne rentrera et rien ne sortira de ce clos, qu’on va jouer à l’intérieur à le jardiner. On commence, on se fait notamment une porte pour pouvoir y accéder. Ensuite, on va jouer avec tous les éléments qui sont dedans, en se disant que tout devra y rester, tout devra continuer d’y être contenu, donc quand on taille, le fruit de la taille, on doit lui trouver une place, etc. et on transplante… il y a des gestes plus radicaux que d’autres… et on se fabrique comme ça, petit à petit, un espace qui est à la fois tout à fait en dehors et complètement au milieu de cette forêt, un peu à la manière d’un animal qui se fait, petit à petit un terrier dans un bosquet ». Leurs pratiques dans le jardin de La Fonderie et dans Un jardin dans la forêt65 sont un ensemble de gestes à l’inverse des pratiques usitées dans les marchés publics. Balayer, nettoyer, transplanter, couper, tailler, ramasser les branches, déplacer les débris et en faire une clôture sont autant d’actions de moindre ampleur qui feront naître un jardin dans une forêt. Les deux paysagistes revendiquent ce travail de gestes, évoquent le « ménagement » plutôt que l’ « aménagement », une prise de distance par rapport au dessin et au projet de paysage classique. C’est dans la petite dimension et la succession des actions physiques des jardinières qu’elles sont que la création s’opère. [Fig. II.8, fig. II.9 et fig. II.10] « On commence par tout décomposer, puis on recompose dans un autre agencement et c’est vraiment ce rapport un peu quotidien au lieu qui nous fait vraiment rentrer dans un entretien… en fait, on finit par l’habiter tout à fait, ce lieu-là, et vraiment par entretenir un peu comme une conversation avec lui, comme on entretient un feu, finalement, en le ré-alimentant régulièrement pour ne pas qu’il s’éteigne. Il y a quelque chose de ça dans l’entretien, aussi ». Aux actions de petites dimensions s’ajoute celle de l’intimité qu’elles créent avec un lieu en lui apportant du soin modestement. Dans la mesure où aucun élément n’est jeté ni déplacé hors du site, et qu’aucun élément n’est importé, il y aussi cette recomposition du lieu sur lui-même dans la matérialité qu’il peut offrir et dans la recombinaison de cette matière qui va amener d’autres spatialités, d’autres textures, et une autre lecture potentielle.

Corène Caubel, également paysagiste, part à la recherche des temps géologiques par l’étude cartographique comme nous l’avons écrit plus haut. Elle complète néanmoins cette pratique par un travail de terrain où elle guette des indices territoriaux tout en allant à la rencontre des habitants. Elle les emmène dans ses déambulations, les interroge sur les usages, l’histoire des lieux, les événements marquants du territoire pour compléter son investigation. C’est aussi un temps d’immersion très dense, dont elle dit qu’il lui permet des rencontres. Deux approches se superposent ainsi, celle des temps anciens qui ont marqué la géologie des lieux à celle de l’immédiat, de la récolte de paroles actuelles pour que le projet devienne collectif et partagé.

Une nécessaire incertitude ?

S’il ressort de toutes les interventions de ce premier colloque des points saillants qui permettent à la fois de mieux décrire des pratiques de création située et peut-être de rassembler des manières de faire émanant de plusieurs créateurs, le désir de territoire, les notions de résistances et d’hésitations et une liberté dans les pratiques, ajoutons un dernier élément. Il apparaît qu’être un créateur en prise avec le ou les territoires génère de fait une incertitude. D’abord parce que le territoire, méconnu au départ du projet, devient de plus en plus familier et livre une quantité infinie de ressources aux concepteurs qui vont à sa rencontre. Que les ressources soient d’ordre géologique, géographique, sociale, politique, usager, botanique, architecturale, esthétique, fonctionnel, symbolique, etc., chaque projet trouve son ancrage dans le territoire, ce dernier recelant une sorte d’infinités des possibles qui peuvent devenir des occasions de création ou de travail. Cette multiplicité d’éléments se décuple encore lorsque l’on a à la conscience que chaque morceau de territoire est unique et diffère de celui d’à côté. C’est dans cette rencontre progressive avec les lieux que les projets des concepteurs s’affinent, évoluent, se redéfinissent, mutent. Marc Pichelin et Anne-Laure Boyer sont très clairs sur ce point, il est impossible d’avoir à la fois une idée et un territoire, l’un des deux éléments est en trop, c’est bien l’idée qui vient du territoire, la première étant le prolongement de l’autre. Anne-Laure Boyer, dans son projet Déménagements explique ce phénomène. Au démarrage du projet, elle souhaite filmer le déménagement (un appartement qui se vide) et le relogement d’habitants (le nouvel appartement qui se remplit). « Au bout du compte, une fois que j’ai eu fait des rencontres et que j’ai trouvé des gens avec qui on pouvait s’entendre, il a fallu 2 ou 3 déclics, 2 ou 3 personnes avec qui le courant passait bien et les choses se déclenchent, on se dit :
- « Ok, on y va, on le fait, on commence, on se lance, très bien, mais comment vous allez rencontrer les habitants ? Est-ce que vous voulez faire du porte à porte ?
- Oh ben non, pas forcément…
- Sinon on peut peut-être passer par l’assistante sociale, Valérie, elle est hyper sympa. Elle téléphone et elle voit en rendez-vous tout le temps des gens qui sont sur le point de déménager. On peut peut-être passer par elle ?. »
Je fais : « Oui, oui, on n’a qu’à faire ça. » Donc je vais voir Valérie, je vais dans son bureau et Valérie : « Ben tiens, je vais appeler Roger. Je vais appeler M. Fontaine. » Elle prend son téléphone, elle appelle M. Fontaine, elle dit : « Voilà, j’ai une photographe, elle voudrait faire des photos… ben tenez, elle va vous expliquer. Des vidéos… » Et là, elle me passe le téléphone, je me retrouve un peu prise au dépourvu de devoir expliquer… il fallait trouver, avec des mots très simples, tout d’un coup, quelque chose que j’avais délayé pendant deux ans et sur le coup, je me vois en train de changer de projet, de basculer, parce que sur le coup, je me suis dit très vite : mais est-ce que ça va vraiment l’intéresser ce monsieur, d’avoir un DVD, en fin de compte ? Où on voit son appartement qui se vide et se remplit. Ben non, c’est nul. Il s’en fout d’avoir un DVD. Donc là, je redéfinis le projet en ça : une proposition comme ça, beaucoup plus simple, finalement, qui consiste à faire un portrait d’appartement, faire une photographie du lieu tel qu’il est, avant d’être bouleversé. Je lui explique ça : « une photo de votre appartement, pour le souvenir… » Il me dit oui et très simplement, voilà, le rendez-vous se fait comme ça et c’est comme ça que le projet est redéfini une première fois. Et après, il n’a pas cessé d’être redéfini et d’évoluer progressivement, et c’est ça qui fait que finalement, je suis assez attachée à ce projet ».

Nombre de projets présentés au cours de la journée de colloque se font de cette manière, grâce à des rencontres de personnes et de lieux, d’histoires, qui font autant d’opportunités qui jettent les dés à nouveau dans ce qu’est le processus de création. Ainsi se construit une création située, dans la résistance, l’hésitation, l’incertitude mais poursuivant un désir d’être en résonance avec un lieu et parfois hors des formats proposés par les marchés culturels et aménageurs.

La conception, le territoire et le temps

S’il fallait tenter de trouver une synthèse conceptuelle à la création située sur la base des interventions des créateurs présents au colloque « Autour des pratiques de la création située. Paysage, architecture, art, littérature », elle pourrait s’organiser autour de trois notions. En premier lieu, elle est un processus de conception. Si cela est une évidence, il est important malgré tout d’insister sur le fait que les créateurs développent tous des processus de conception différents, changeants, souvent non linéaires et que le résultat de la production qu’ils évoquent est présenté avant tout comme l’étape ultime d’un processus ou de la recherche d’un processus (pour la majorité d’entre eux) voire comme une étape parmi d’autres qui sont en cours. Dans le cas de Marc Pichelin, c’est le principe même qui orchestre la résidence d’artiste qui est un processus pouvant être infini à l’intérieur duquel des productions d’auteurs apparaissent. C’est ce que nous avons évoqué par les termes d’« hésitations » ou d’« incertitude » présents dans leurs démarches. Dans cette idée, il apparaît également que certaines des productions ne sont pas nécessairement créées pour être finies au sens où l’histoire de l’art a pu pendant une longue période promouvoir la notion d’ « œuvre ». Citons une nouvelle fois la résidence de Marc Pichelin : les auteurs peuvent se succéder à l’infini et c’est bien les conditions de créations induites dans le dispositif de la résidence qui vise une continuité probable des œuvres ou de l’œuvre globale qu’elle compose. Ajoutons le travail de Marion Ponsard et Juliette Duchange (Les Espaces Verts) à Royères-de-Vassivière, Un jardin dans la forêt, dont la création est générée par un ensemble de gestes de jardinage de petite échelle. L’espace créé par le jardin ne peut être stabilisé à aucun moment et ne peut pas prendre fin. Par définition, le rythme des saisons et des climats vient altérer les gestes réalisés et les espaces : le mouvement de repousse et/ou d’altération des végétaux, le passage des humains et des non-humains sont de nature à modifier l’état de leur création. Là encore, le processus de « ménagement » doit se répéter à l’infini pour qu’une de ses étapes, le moment où l’espace apparaît comme étant un « jardin » soit relativement stable dans sa spatialité. Nous hésitons dans ce cas entre qualifier cet élément comme un acte de création permanente ou comme simplement une « gestion » de la création, soit la maintenance dans un état particulier.
Un autre point important apparaît dans la somme des productions présentées et des intentions que mentionnent les créateurs dans leurs démarches. Si toutes leurs productions ont une existence matérielle que les créateurs sont capables de décrire et d’expliciter dans le choix des formes, des spatialités, des matériaux, des dimensions, etc., ils situent cependant souvent leurs démarches dans des intentions immatérielles. Le processus est donc un ensemble de choix et de décisions successifs dont les dimensions sont politiques (Marc Pichelin), symboliques (Anne-Laure Boyer), poétiques (Blandine Galtier), éco-poétiques (Sophie Poirier), culturels (Les Espaces Verts et Corène Caubel), etc. Définitivement, les productions ne visent aucunement l’aboutissement d’une expertise technique particulière et matérielle. Ce point n’est sans doute pas nouveau depuis les années 1960 mais la création située révèle que le matériel et que son corollaire inverse ne sont pas dissociables et confirment le processus de création comme une recherche dans la conception dans un rapport le plus juste au territoire. Une des conséquences à cela est que les créations peuvent faire intervenir de multiples outils ou compétences au sein d’un même processus et que certaines en deviennent transdisciplinaires, y compris lorsqu’elles sont réalisées par un seul et même créateur. Ce point fait écho à la question des disciplines, citée plus haut. Il est bien question de rechercher le ou les meilleurs médias dans la poursuite de l’intention immatérielle et ceux-ci sont souvent multiples, complémentaires, successifs. Les créateurs peuvent, de fait, se former à de nouvelles compétences dont ils auraient besoin selon les cas pour augmenter et enrichir leur processus de conception.

En second lieu, c’est l’apport du territoire dans la création située que nous aimerions développer. Il apparaît de manière évidente que les créations sont uniques et réalisées pour un territoire qui l’est tout autant. Il en découle que l’acte créatif ne se fait pas « sur » mais « avec » un territoire66. Cette distinction est essentielle dans la mesure où elle nous fait dépasser le mouvement du Land art dans ses branches anglaises et américaines où les artistes prenaient en compte un certain nombre de données du territoire : son expérience par la marche, sa géographie, sa dimension visuelle mais que les créateurs d’aujourd’hui étendent à bien d’autres aspects : ses dimensions sociales, historiques, paysagères, politiques, usagères, symboliques, mémorielles ; il en résulte la mobilisation du territoire dans ce qu’il a de plus épais et dans sa construction la plus complexe. Tous les intervenants témoignent au cours de leur présentation de la manière dont ils fouillent les couches du territoire selon leurs appétences et compétences et tous livrent comment ils se mettent en quête de situations territoriales en cherchant à en comprendre les phénomènes. Même s’ils ne prennent pas en considération la totalité de ces phénomènes, ils deviennent en revanche experts d’une ou plusieurs données. Dans les années 1990, Sébastien Marot a montré comment le site de projet des paysagistes déterminait le programme du projet (point crucial dans le positionnement des pratiques paysagistes au regard des pratiques architecturales)67. Dans une certaine mesure, il apparaît aujourd’hui que ce processus n’est plus seulement présent uniquement chez les paysagistes mais a contaminé plusieurs autres disciplines et peut créer un phénomène plus large que l’on retrouve dans la création située. Pour tous les intervenants, le territoire devient un acteur à part entière dans le processus de création. Pour Marc Pichelin par exemple, ce point est clairement énoncé, les dispositifs de la résidence d’artistes permettent à ses créateurs d’être poreux aux lieux environnants et à la vie qui s’y déroule et ceci ne laisse pas de place à l’hypothèse d’une idée préalable à la conception. Entre l’ « idée » et le territoire, l’intervenant tranche littéralement en faveur du territoire et de l’immensité d’opportunités que le créateur doit capter pendant sa résidence. Anne-Laure Boyer souligne par ailleurs à quel point les appels à projet d’art sur des territoires ne permettent pas un temps nécessaire de compréhension suffisant pour élaborer une réponse. Pour elle, les projets avec le territoire ne peuvent émerger que de la rencontre précisément entre le territoire et le créateur, lorsqu’un temps incompressible de travail et d’étude aura été réalisé pour permettre leur connivence. Selon elle, le financement interviendrait de fait après que le désir de projet soit formulé. Pour Sophie Poirier, il en va de même, la rencontre avec le bâtiment du Signal est le point de départ d’une relation si forte entre l’autrice et le bâtiment qu’il en naîtra un roman.

Enfin, après le processus de conception, la responsabilité du territoire dans la création située, vient la question du temps. De toute évidence, créer de manière située prend du temps. Un temps de compréhension et d’analyse du territoire, un temps d’hésitations, de choix dans la conception et la connivence entre les créateurs et leur territoire nécessite une longue période de travail. En outre, il apparaît que les productions des créateurs s’installent dans des durées de vie variables. Les créateurs ne visent pas obligatoirement une pérennité de l’œuvre et certaines sont même conçues pour être éphémères. C’est le cas de certains dessins de la résidence de Coulounieix-Chamiers, collés sur les murs de la cité à des endroits qui font sens et qui n’ont pas vocation à durer dans le temps.
Les points de synthèse que nous venons d’évoquer, le processus de conception, le territoire comme acteur et le temps constituent les trois grandes catégories de rédaction du Manifeste de la création située que nous retrouvons à la fin de l’ouvrage.



Journée d’études n°1 (extraits choisis)
« Autour de la création située. Paysage, architecture, art, littérature ».
Avec Corène Caubel ; Blandine Galtier ; Anne Laure Boyer ; Marc Pichelin, Ouïe/Dire ; Juliette Duchange et Marion Ponsard, les espaces verts ; Sophie Poirier
Ecole Nationale Supérieure d’Architecture et de Paysage, Bordeaux, juin 2021.

Les journées d’étude « Autour des pratiques de la création située. Paysage, architecture, art, littérature » et « Retour sur des créations situées. Programmation, chantier, gestion, réception » ont fait l’objet d’une retranscription écrite complète. Nous avions pensé livrer le verbatim intégral de toutes les interventions à l’attention du lecteur mais face à la grande quantité de texte que cela représente, nous avons décidé de procéder à un choix plus précis de citations. Elles sont de nature à donner un instantané photographique de certaines des prises de position de concepteurs, de commanditaires ou de commentateurs de la création située, à montrer aussi la diversité et l’ouverture des propos qui ont été tenus le temps de ces deux colloques. Le lecteur pourra s’y promener, sans ordre particulier de lecture et au gré de son intuition.

  1. Corène Caubel

« Le point de départ, ça a été une semaine d’immersion pour essayer de m’inspirer, de rencontrer des habitants et de proposer une piste de projet au centre d’art de la Chapelle de Thouars et au commanditaire, le Syndicat Mixte de la Vallée du Thouet. Donc ça été une semaine d’immersion sur ces espaces pour découvrir les lieux qui étaient choisis par les villes et au fur et à mesure, je me suis rendu compte de la présence d’un ancien passé maritime, il y a entre 180 et 200 millions d’années, sur Thouars. J’ai essayé de retrouver des anciennes cartes, j’ai rencontré le centre d’interprétation géologique de Thouars, qui est un haut lieu de la géologie, puisqu’en fait, il y a un site vraiment dédié à une stratification géologique particulière aux environs de Thouars. Je me suis un peu entourée de différentes personnes pendant cette semaine d’immersion, qui était assez courte pour faire une proposition. En tout cas, je n’avais pas forcément l’habitude de passer si peu de temps pour faire émerger une piste de projet, mais en une semaine, j’ai pu rencontrer différentes personnes. »

« Le site, quand il était tout seul, n’avait pas vraiment grand intérêt au début… enfin pour moi : il était à côté du Lidl, adossé à un espace de vignes, mais qui évoquait déjà, lui, un souvenir d’un champ de vignes qu’il y avait à cet endroit, mais qui n’était pas forcément le champ de vignes originel. L’idée, c’était d’avoir une installation qui soit une sorte de succession de couches d’histoire et de translation, de déplacement, comme ça, sur le territoire et de pouvoir ensuite, avoir en face des cabines de plage, sur l’éperon rocheux de Thouars, avec des blocs d’enrochement qui évoquent le sous-sol sous-jacent, qui se retrouve sous nos pieds, mais qui ne se voit pas forcément si on n’observe pas la roche. »

« Avant de partir en Normandie, puisque je n’y habitais pas encore, je travaillais dans les bibliothèques, à chercher des cartes, à essayer de comprendre les savoir-faire locaux, les traditions, et puis j’ai trouvé cette carte, où il y avait – enfin une carte géologique que j’ai besoin de consulter avant de travailler dans un endroit où d’aller quelque part, d’ailleurs – et on retrouve, en fait, des petites poches de pillow lavas, des laves volcaniques qui se sont refroidies très très rapidement dans l’espace sous-marin, donc à l’époque il y avait aussi la mer, mais ça c’est un peu le cas dans plein d’endroits. »

« À ce moment-là de la création, j’avais quelques jalons, mais je ne savais pas vraiment encore ce qui allait être produit, donc je disais aux habitants : « Ça va aller, on va trouver » et c’est aussi ça, en fait de… parce que ce que je trouvais intéressant de vous présenter aujourd’hui, c’est aussi qu’il y a des moments où il faut oser ne pas savoir exactement ce qu’on va rendre. Et ça, c’est compliqué pour un commanditaire. »

« On peut avoir des points de convergence entre nos différentes pratiques et pour autant avoir des manières de vouloir ressentir l’espace et parfois d’être totalement mêlés dans le site avec tous les composants : par exemple, moi, les habitants et Blandine, ce besoin aussi d’être parfois immergée d’une autre manière. Mais en tout cas, effectivement, l’arpentage, qu’il soit collectif ou individuel, semble être un temps important, qui peut aussi générer des moments de questionnement, de curiosité et de doute. Et la manière de le mettre à plat semble aussi un temps de latence, presque de sédimentation, qui semble, dans le sens de la Barge, vouloir se donner lisible. Vous avez mis en place un outil en plus, qui archive toutes vos connaissances de terrain et aussi ce que vous créez au fur et à mesure. Il y a cette idée d’outil de mise à plat qui prend aussi des formes différentes, collectives ou individuelles. »

  1. Blandine Galtier

« Afin de répondre à la question d’aujourd’hui, je me suis penchée sur les différents travaux que j’ai réalisés jusque-là et j’ai réalisé que ce processus de création est assez similaire de celui que j’avais pu expérimenter dans d’autres pratiques telles que l’architecture et le graphisme et qu’il se découpe en trois phases : observation, interprétation et projection. Dans mon langage je les nomme plutôt
phase d’arpentage, phase de gestation et phase de cristallisation. »

« Nous [Blandine Galtier et Hélène Soulier, ndlr] avons pour cet appel à projet dû définir nos intentions qui étaient de travailler sur les friches et leur disparition, pour cela nous avons choisi une friche urbaine, ancien site ferroviaire de Cracovie, qui se trouve aux pieds du quartier des Aubiers. « Archéologie du blanc » parle de l’oubli, avoir un blanc, des blancs dans les cartes, de ces sites non cartographiés dont on ne dessine que la limite de parcelle cadastrale. »

« Habituellement quand je travaille seule, je vais sur un site, je vais arpenter je sais bien sûr que je vais parler de sa beauté, de sa poésie ou du fait qu’il soit éphémère mais ce n’est jamais autant défini. » »

« C’est en effet très intéressant, parce que, comme je le disais, pour moi, cette phase d’immersion, elle est justement beaucoup basée sur ce que je vais ressentir. Sentir les odeurs, la peau, suivant – justement, je le disais aussi – les saisons… ça, pour le moment, dans mon travail d’artiste pratiquant la gravure, il est vrai que j’essaie de le traduire. Je pense que c’est aussi ce qui m’attire vers le gaufrage. J’essaie de le traduire par une autre sensibilité, puisque je ne peux pas ramener – alors je pourrais, mais je ne l’ai pas fait – ramener l’humidité, ramener ces sensations-là, les odeurs… J’ai ramené lors d’une exposition le son, que je trouve plus simple à utiliser, mais sinon, le reste, je vais essayer de le traduire plutôt dans une technique, puisque la gravure me permet comme ça d’avoir différents outils, ces techniques-là, et de pouvoir chercher ce qui pourrait se rapprocher le plus… de l’odeur, ce n’est pas possible, mais en effet, plutôt de ces sensations et de toute cette partie invisible et, si on n’est pas sur le site, de tout ce que l’on ne peut pas transmettre. »

  1. Anne Laure Boyer

« Je m’intéressais beaucoup aux endroits qui étaient dans des situations complètement sens dessus dessous, notamment les démolitions, les ruines, les chantiers et les lieux interdits en règle général. C’est vrai que la démolition, c’était une opération particulièrement spectaculaire et pour moi, elle l’était d’autant plus que c’étaient des immeubles récents… bon « récents », construits dans les années 60, en 2000-2010, c’est encore récent quand même. »

« Du coup, la question légitime qui me semblait avoir une raison pour laquelle je pouvais être là, dans ces chantiers, c’était en me mettant à la place des personnes qui vivaient là et de me dire : « Ben voilà, les gens vont devoir s’en aller de ces lieux, ils ne l’auront pas choisi, ça va être une nuisance pour eux. Est-ce qu’ils sont relogés ? Comment ils sont accompagnés pour ça ? Est-ce qu’ils sont indemnisés ? Et puis qu’est-ce qu’il va rester comme traces ? Enfin, pour eux, moi, est-ce que je peux leur apporter, au moment où ils s’en vont, justement, quelque chose d’un souvenir d’un endroit qu’ils quittent. » Et au moment où ils s’en vont, ils ne pensent peut-être pas à ça, que c’est un endroit dans lequel ils ont des souvenirs, parce que, souvent, notre mémoire est attachée à des lieux. Et vous qui construisez du lieu et qui êtes tellement en prise avec le paysage et les endroits qu’on traverse, vous devez certainement l’éprouver aussi, qu’il y a des moments de votre vie qui sont intimement attachés à des objets ou des lieux, que ça fait trace, quoi. Donc au moment où on démolit ça, il y a une attaque qui peut être un peu intime aussi et qui peut être aussi un peu communautaire ou un peu intime, parce que quand on est plein dans un immeuble, on fait groupe et donc quand quelqu’un vient dire : « Ta maison n’est pas digne de rester debout, il faut qu’on la casse », c’est violent, quand même. «

« Donc moi, je pars avec ça et je me dis qu’il y aurait peut-être quelque chose à faire dans la trace qu’on peut garder et puis, moi, rentrer à l’intérieur de ces endroits et photographier ce qui se passe et ne serait-ce que montrer ce qu’il y a dedans, ce qui se passe dedans et pas juste ce qu’on voit de l’extérieur, c’était déjà une manière de retourner un peu la situation aussi et d’offrir un miroir autre, d’ouvrir des portes, quoi, décloisonner. »

« Je me dis aussi que plus ça va, plus je cherche des contextes de travail comme ça, qui permettent cette souplesse et il n’y aurait guère que les résidences artistiques qui permettraient vraiment ça, parce que moi, je vous parle de mon champ, qui est celui des arts plastiques, je ne sais pas exactement comment vous, vous travaillez, mais c’est vrai que c’est difficile de répondre à des appels à projets qui demandent une écriture de projet préalable, parce que pour faire ça, en fait, quand on est en prise avec un territoire, il faut y aller, il faut connaître les gens, il faut prendre le temps, il faut voir comment sont faits les lieux, mesurer les forces qui sont en présence, se remplir de tout ça et ensuite esquisser des choses et les réajuster au fur et à mesure. Mais ça, on ne fait pas ça en 15 jours en voyant un appel à projets et en faisant une réponse avec un projet préécrit. En tout cas, moi, je refuse. Je ne peux pas, je ne peux pas, je ne peux pas. Et en ce moment, c’est vrai qu’il y a une tendance assez forte qui se dessine comme ça, où il y a de moins en moins de possibilités de création, d’aide directe aux artistes, d’espace de travail où on prend des risques, on fait confiance sur la base de choses réalisées précédemment ou même, tout simplement, d’une affinité aussi. Non, on n’assume plus ces choses-là. Il y a des appels à projets avec des critères, des attentes, des objectifs. En art, c’est compliqué. »

« Ce qui était assez étonnant, et que j’ai pu voir à peu près chez chaque famille qui a participé, c’est qu’ils ne s’attendaient pas à voir ça, en fait. Il y avait un effet positif, c’est-à-dire qu’ils n’auraient pas pensé que leur intérieur aurait pu être photogénique. Ils n’auraient pas pensé que ça aurait pu faire une belle photo. Moi, j’étais étonnée de ça, j’étais contente, parce que ça voulait dire que j’avais bien fait mon boulot de photographe. C’était le but, on n’était pas là pour se faire du mal non plus. Mais c’était étonnant quand même, parce qu’en fait, on a ça, on a cet effet de quotidienneté avec un lieu dans lequel on vit tous les jours et au bout d’un moment, on ne le voit plus. Et vous imaginez bien que, au moment où il y a la démolition, et que parfois, vous attendez peut-être plusieurs années avant de savoir exactement quand vous allez partir, où vous allez partir. Pendant ce temps-là, le lieu se dégrade, parce qu’à quoi bon l’entretenir ? Aussi bien les parties communes que l’intérieur où on vit. La relation avec le lieu se dégrade. On ne le voit plus, on ne l’aime peut-être plus… Un lieu, on le fait vivre. Ça se soutient un lieu, ça s’entretient, ça se nettoie, ça s’actualise, enfin, il y a toujours des petits arrangements comme ça. Au moment où on sait qu’on va partir, c’est quelque chose qui se délite un peu. Donc la photographie, ça a été quelque chose qui est venu beaucoup réactiver et remettre, retendre le ressort qui s’était un peu détendu dans cette relation à son intérieur. C’est là que je me suis dit que j’avais un indicateur de justesse par rapport à la proposition que j’avais formulée, parce que toutes les images qu’on produit sont des actes symboliques, les gestes artistiques qu’on produit produisent aussi du symbolique et il faut être quand même assez conscient de ça et faire attention à la portée symbolique des gestes qu’on va apporter, surtout dans des moments délicats. Là, ce sont des moments délicats. »

« Je voudrais rajouter quelque chose par rapport à ce que tu viens de dire, en quoi je suis complètement d’accord et dire que pour autant qu’il n’y ait pas forcément un projet entièrement défini à l’avance, ça ne veut pas dire qu’on n’est pas d’accord sur des intentions. C’est là la clé pour déverrouiller des situations, parce qu’effectivement, malheureusement, il faut qu’on assume qu’on est dans une époque qui a peur de prendre des risques et c’est encore pire avec la crise sanitaire, l’épidémie, mais c’était déjà comme ça avant de toute façon. Finalement, il faut arriver à assumer qu’on va vivre des aventures, qu’on ne sait pas encore où on va, mais qu’on sait pourquoi on y va, simplement, on ne sait pas comment. C’est ça qui est un pari et il faut arriver à se faire confiance et que les décideurs ou les financeurs ou les partenaires, avec qui on va construire des choses, ils assument aussi avec nous cette part… avec nous, créateurs ou agents de propositions quelles qu’elles soient, que tous on assume qu’on partage des intentions et des valeurs. Une fois qu’on est bien d’accord sur ces valeurs-là, même si on ne sait pas où on va, à l’arrivée, on est surpris par ce qui est arrivé. Mais en attendant, on est toujours dans les valeurs et les intentions qu’on partage au départ. À partir de là, une fois qu’on a défini quels sont les points de rencontre qu’on peut trouver entre nous, en termes d’intentions, même si on n’est pas à 100 % sur les mêmes ambitions, il y a des points de rencontre à trouver et une fois qu’on les a identifiés, on peut faire un chemin ensemble. À partir de là, finalement, on peut se dire que tout est permis et il ne faut pas s’en empêcher, il ne faut pas avoir peur de ça, parce que sinon, c’est la mort, on va tous savoir demain à quelle heure où on sera, qu’est-ce qu’on fera avec qui, enfin, c’est chiant, quoi… ce n’est pas ça la vie. »

« Je voulais apporter quelque chose aussi, c’était la question de : qu’est-ce qu’on produit ? Parce que, dans le moment de la négociation avec ceux qui ont les clés pour ouvrir des lieux ou donner des moyens, il y a des discussions qui s’engagent sur ce qu’on fait et pourquoi on le fait. Dans les finalités, les intentions, il y a aussi les résultats et ce qu’on peut en dire : que les œuvres existent pour elles-mêmes, elles sont des objets non marchands, même si elles sont l’objet d’une relation par laquelle passe de l’argent aussi, en tout cas quand c’est subventionné, mais on peut dire que dans créer des situations, il y a une clé, quoi. Moi, je voulais raconter que dans le projet que je vous ai présenté tout à l’heure, ce qui avait été créé au-delà des œuvres, finalement, c’étaient aussi des espèces de seuils et des étapes par rapport à des moments d’une vie, où on avance, où on doit fermer une période de vie, passer une étape, faire un deuil d’une période, puisqu’on quitte un lieu, souvent ça vient marquer quelque chose. Le fait de l’accompagner par un acte symbolique passant par une œuvre, en fait, c’était super important, parce qu’il y a, du coup, une prise en considération de ce que vivent les gens et ils ne sont pas juste des cas sociaux qu’il faut accompagner. Ce n’est pas juste ça, c’est autre chose encore. Je trouve que, là encore, le projet artistique, il peut aller se loger là, les créations situées qu’on propose en tout cas, c’est aussi là qu’elles se logent, quand on occupe la place du tiers, de la tierce personne, dont il a été question ce matin, c’est aussi ça, c’est créer des instants symboliques. Et les œuvres, dans ce cas-là, elles sont des objets transitionnels. »

« C’est difficile que les artistes ou les créateurs soient présents au moment où les cahiers des charges s’écrivent, en fait. Moi, je serais d’accord, mais c’est vrai qu’on appelle ça des « instances de décision » et je pense qu’on est assez absents de ces espaces-là. Pourquoi ? C’est encore un autre débat. Je ne sais pas si c’est le débat d’aujourd’hui, mais oui, moi je suis assez d’accord, mais il n’y qu’à voir le 1 %, c’est typiquement le genre de situation de travail qui existe depuis longtemps sur laquelle on a déjà fait le constat des écueils, cet écueil-là justement : que les créations artistiques arrivent après, une fois que le bâtiment est dessiné et livré. Du coup, on se dit : « Bon, ben, on va le mettre où ? À côté du pot de fleurs pour que ça ne gêne pas », alors que le choix même du lieu, c’est déjà faire œuvre, en fait… de l’espace dans lequel l’œuvre pourra arriver dans un lieu construit. C’est déjà une orientation énorme. Je ne sais pas comment on pourrait faire pour être présents dans ces instances-là. On a quelques syndicats qui bataillent et qui ne sont même pas entendus sur des questions basiques de pratiques professionnelles, donc je pense que c’est un problème. Pourtant, je trouve que ce serait une super idée, mais franchement, ça me tombe des mains. »

  1. Marc Pichelin, Ouïe/Dire

« L’idée de résidence expérimentale, ce n’est pas simplement de produire de la musique bizarre ou du dessin un peu tordu ou je-sais-pas-quoi, de la photo, de la vidéo un peu expérimentale, c’est vraiment d’essayer d’être le plus en expérience sur ce territoire et le moins en projet. Parce qu’aujourd’hui, on parle beaucoup de « projet » et ça me saoule autant qu’Anne-Laure. Je crois que… je ne réponds pas à des appels à projets non plus. Je trouve qu’on est dans une culture du projet qui correspond assez peu à ce que sont nos pratiques artistiques et culturelles. »

« Moi, ce qui m’intéresse, ce n’est pas de créer des projets, c’est de créer des situations, qui permettent à des artistes de venir travailler dans un espace donné. Donc ce n’est pas une résidence où des artistes ont un projet, répondent à un appel et on les choisit en fonction d’un projet et ils viennent trouver un lieu, un peu d’argent et des moyens pour réaliser un projet. Je demande aux artistes que j’invite de ne pas avoir d’idée, de ne pas avoir de projet. S’ils ont un projet, ils restent à la maison et s’ils ont une idée de ce qu’ils vont rencontrer, ce n’est pas la peine qu’ils viennent. Je les imagine le plus vierge possible de la situation et je leur demande de venir se mettre en situation et de travailler avec ce qu’il y a là. On dit souvent, sur ces projets… en tout cas, sur ces situations, pour le coup… que quand on a une idée et qu’on a un territoire, on se retrouve vite avec un truc en trop. Soit on a une idée, puis le territoire nous emmerde, parce qu’il ne veut jamais rentrer dans le cadre de ce qu’on voudrait faire, qu’on avait imaginé faire, il faut toujours tordre le territoire pour arriver à le faire rentrer dans le projet. Soit on a un territoire et si on a une idée, on ne peut pas se mettre à l’écoute, on ne peut pas se mettre en perception de ce territoire-là. Moi, ce que je demande aux artistes, c’est d’arriver et d’être en relation, tout simplement. À partir de là, après, imaginer des choses et voir comment on travaille. C’est une résidence aussi qui a une particularité, c’est que les artistes ne sont jamais seuls, c’est un projet collectif. Les artistes sont toujours un minimum de 3, ça peut aller jusqu’à 12, ou 15, parfois. Ce sont des résidences qui n’ont pas de planification. »

« Du coup, la question qui est sous-jacente à cette histoire de créer des situations, c’est un peu : quel est rôle de l’artiste ? À quoi on sert dans cette aventure, dans cette société qui se construit, là, aujourd’hui ? Et comment on pourrait être un petit peu moteurs d’une transformation sociale et actifs, en tout cas, dans ces questions-là ? Alors le rôle de l’artiste… qu’est-ce que ça produit un artiste ? C’est toute la question qu’on se pose. Qu’est-ce que ça produit ? Alors ça peut produire des œuvres, évidemment, ça c’est la moindre des choses, mais une œuvre, c’est toujours quelque chose qui est un produit, qui est quelque chose qui doit être marchandé, alors ce n’est pas forcément parce qu’on le vend directement dans une galerie, dans une librairie ou dans une salle de concert, mais c’est quand même toujours l’idée qu’il faut qu’il y ait un objet qui soit apparent et l’artiste, on lui demande de produire des œuvres et de se mettre en situation de les vendre. Et il prend de la valeur en fonction de comment son œuvre est vendue. Donc ça, c’est une façon d’être artiste, qui est déjà très ancienne, qui date un peu de Beaumarchais, on va dire, avec la question du droit d’auteur qui a été créé à la fin du XVIIIe. C’est une chose qui s’inscrit dans un univers capitaliste qu’on connaît bien, libéral, qui a créé des situations qu’on connaît bien aujourd’hui d’intermittents du spectacle, avec des questions de précarité, où on demande aux gens de se vendre et de fabriquer des œuvres pour essayer de vivre leur vie. Ça, c’est une chose. Mais on peut aussi être artiste autrement, c’est-à-dire qu’on peut aussi être artiste en circulant dans un quartier, en proposant de faire des portraits des habitants pour voir un petit peu qu’est-ce que ça fait, en produisant un journal de quartier, comme on le fait, en créant une situation d’atelier avec des enfants dans une école, en créant des relations d’exposition, dans un bar PMU, dans un kebab, comme on le fait chez nous. »

« Nous, on n’a pas de salle d’expo, donc encore une fois, on a fait une expo, depuis maintenant 4 ans dans un bar PMU, qui nous a donné une petite salle derrière le bar. C’est une expo qui a déjà connu 7 vernissages. C’est toujours la même expo, mais c’est une expo qui est évolutive. Elle change, il y a des choses qui sont rajoutées, qui s’enlèvent, etc. On peut convier les gens du quartier, régulièrement, à venir voir un petit peu où en sont les artistes. On fait des expos directement sur les murs du quartier, aussi, puis on fait beaucoup de performances, de concerts, de choses qui sont plutôt des choses du spectacle vivant et dans des situations différentes : on a des jardins dans lesquels on peut travailler, on a des espaces publics, parkings, etc. On invente, en fonction des espaces qu’on trouve, qu’on nous prête, comment on peut co-construire ces émergences. Donc les artistes travaillent sur un projet collectif – c’est l’ensemble de la résidence – ils participent de ça, en fonction de ce dont ils ont envie : des ateliers, du journal, des expos collectives, des performances, etc., mais ils ont aussi la possibilité de conduire une réalisation individuelle. »

« Ça produit qu’un objet comme ça, qui était un objet plutôt de dissensus, peut faire consensus. En tout cas, une œuvre d’art peut produire, à un moment donné, de la rencontre, même si on ne règle pas toutes les questions sociales ou de bien social, ce n’est pas l’idée, mais ça crée une situation sensible, qui permet que les gens se parlent un petit peu, que les paroles se libèrent un petit peu et qu’on peut vivre côte à côte, parce qu’on est là, tous en train d’admirer une œuvre ou d’écouter un concert. Ça, c’est un des exemples parmi tant d’autres de ce qu’aujourd’hui, on pense possible dans la relation avec l’art et le rôle de l’artiste sur notre société. »

« C’est une question qui m’énerve plutôt, cette histoire, pour être un peu franc. En fait, moi je pense vraiment qu’on s’est fait coloniser par des idéologies ou des façons de faire qui ne correspondent pas à ce qu’est la pratique artistique. Cette culture du projet, aujourd’hui, elle ne vient pas de… ce n’est pas nous qui avons inventé ça, on nous l’a imposée. L’histoire des appels d’offre, ça a été imposé. Ça vient des marchés publics, qui peuvent se justifier tout à fait justement quand il faut construire un collège, choisir l’architecte, je comprends qu’on fasse appel à différents projets pour voir quel est le meilleur ou je-ne-sais-pas-quoi, mais dans la pratique artistique, c’est une affaire de relation. Je dis toujours qu’on est en relation et c’est une question d’art relationnel. Pour moi, il est toujours question de réduire l’écart entre les choses. Et je trouve qu’aujourd’hui, il y a beaucoup trop d’écart entre ce qu’est le monde de la culture, ce qu’est la culture dite « officielle » et les lieux de culture, et les gens. Je ne parle pas du public, hein, les gens. Aujourd’hui, on a des lieux culturels qui sont excluants plutôt qu’incluants, c’est pour ça aussi qu’on va travailler dans des endroits comme ces quartiers ou des hôpitaux psychiatriques, ou dans des écoles et autres, parce que je pense que tout espace est un lieu culturel potentiel et il est important de réduire l’écart entre l’œuvre, entre l’artiste et la personne qui peut sensiblement l’apercevoir. C’est ce qu’on tente de faire. Cette culture du projet, elle nous en empêche, parce qu’on doit répondre à des appels à projets, comme disait Anne-Laure, ou à des fonctionnements qui ne correspondent pas du tout à ce qu’on fait. Ce qu’Anne-Laure a décrit, c’est qu’en fait, elle a détourné complètement justement cette histoire, qu’elle aurait dû avoir un projet et quand elle se retrouve avec un projet, elle s’aperçoit que finalement, quand elle appelle le gars au téléphone, elle se dit : « Ah non, ce n’est pas ça qu’il faut faire, c’est pas le moment. » Je n’ai pas besoin d’avoir cette idée-là. Il vaut mieux que je sois en relation avec ces personnes-là, que je voie ce que la situation peut me permettre de faire et ce qui est le plus approprié de réaliser, à un moment donné, dans la relation avec les personnes. Et c’est en réduisant l’écart avec la personne, au moment où on prend le téléphone, que là, on est à poil, on ne peut plus tricher, on ne peut plus se cacher derrière un centre d’art ou une médiatrice qui va venir expliquer notre travail ou je-ne-sais-pas-quoi. On est vraiment dans la relation où il faut inventer quelque chose au moment où on est là, quelque chose d’approprié et qui est dans la relation sensible avec la personne. Moi, j’ai coutume de dire que dans cette espèce de trilogie, là, qui serait création-diffusion-médiation, je pense qu’il est important de tout mélanger, en fait. Nous, on est artistes, donc on peut avoir produit une œuvre, après il y a un diffuseur, un opérateur culturel, qui est censé inventer une situation qui va permettre que l’œuvre va se diffuser entre un public, comme ils disent, et après, il y a une jeune et sympathique médiatrice, qui arrive pour expliquer ce qu’on a fait. Mais l’artiste, il est parti depuis longtemps. Nous, ce qui est intéressant dans ce qu’on a décrit là un petit peu, c’est que, par exemple, quand Lolmède fait le portrait de Rachid au bar – enfin, pas au bar, au kebab – c’est le kebab qui est déjà organisateur d’une manifestation culturelle, ce n’est pas son métier, du coup il devient quelqu’un qui compose une situation, où des artistes rencontrent des gens. Laurent, toujours créateur, donc il fait son dessin, mais il fait un dessin avec quelqu’un qui est en face de lui, donc la personne peut voir le dessin, donc il se diffuse tout de suite, parce qu’on le colle sur la vitre et tout le monde peut le voir et il peut lui-même expliquer pourquoi il travaille comme ça. Donc il fait un travail de médiation. Moi, j’appelle ça un travail « d’immédiation », plutôt, c’est-à-dire qu’on est immédiatement dans une relation avec la personne. On a réduit les écarts considérablement, ce qui permet que la… Nous, dans ce quartier, on est là depuis 5 ans et quand on est arrivés, les gens nous disaient : « Mais vous n’avez rien à faire là » et aujourd’hui, il est hors de question qu’on s’en aille. Dès qu’on envisage de faire autrement, les gens commencent à gueuler en disant : « Non, non », mais c’est absolument insensé qu’on soit là, contrairement à tout ce qu’on a entendu depuis 1 an. Et par exemple, ce journal, qui avait eu 3 mois de retard, parce qu’il y avait eu ces histoires de confinement et je-ne-sais-pas-quoi, les gens nous engueulent parce qu’ils ne reçoivent pas leur Voltigeur. Donc on n’a pas besoin de projet, en fait. On a besoin de créer des situations qui permettent qu’il y ait des projets, qu’il y ait des envies, des choses qui se font avec les habitants. Voilà. »

  1. Juliette Duchange et Marion Ponsard, collectif Les Espaces Verts

« On est toutes les deux vraiment ravies de partager cette journée avec vous et d’entendre ce partage et cette envie, cette tentative de réseau résonne beaucoup et dans notre pratique, dans la manière de le faire, et dans nos besoins aussi, je crois, par rapport à cette pratique. Je suis Juliette et voici Marion. Effectivement, on est toutes les deux paysagistes. On s’est formées à l’École nationale supérieure d’architecture et de paysage de Lille à partir de 2006 et pour un peu resituer ce qu’a été l’enseignement qu’on a reçu : nous, on se raconte qu’il y a 15 ans à peu près, quand on a commencé ces études, aux yeux de nos enseignants, ce qui était à ce moment-là important, c’était que le paysagiste, il reprenne vraiment une place un peu forte aux côtés des architectes, aux côtés des urbanistes, qu’il s’affirme. C’était vraiment le moment, qui l’est toujours, mais de cette espèce de mode des très grands projets urbains et il fallait vraiment que le paysagiste devienne indispensable à cet endroit-là. Il fallait effacer un peu l’image des rêveurs, des plantes gentilles et vraiment aller réussir à parler déblai-remblai, oser couper des arbres, manier le plein et le vide, on était vraiment dans ce genre de questionnement-là. Et puis se rendant compte que la question du vivant, des vivants en général, des milieux, elle était plus secondaire, elle était souvent un peu cantonnée aux matières techniques et rencontrait peu les questions de projets et puis une idée que le paysagiste dit « jardinier » devait être un peu effacé de la pensée collective, vraiment il faut que (03.55) le paysagiste prenne sa place dans les projets urbains. Nos terrains de jeu, ça devait être la grande échelle, l’urbain, être stratégique, pragmatique, c’est ce qu’on a, en tout cas, un peu vécu à ce moment-là. Après, bien heureusement, dans nos carrières, on s’est rendu compte que c’était un métier qui restait de toute façon extrêmement flou et malléable et qu’on pouvait en faire pas mal de choses, ce qui nous a plu à l’une comme à l’autre. On a exploré à plein d’endroits différents ce métier-là et je crois qu’on continue de le faire avec pas mal de bonheur. Mais en tout cas, on s’est retrouvées toutes les deux avec Marion en 2019 avec vraiment une envie assez forte de prendre l’air, envie de quitter le bureau, de fermer les ordinateurs et vraiment de changer de posture. On n’était plus vraiment à l’aise dans ce monde de l’aménagement de l’espace, ce monde un peu extraterrestre, et on avait vraiment une envie de retrouver le sol, le sous-sol, de revenir sur terre. Donc, comme ça, à contrepied presque de ce qu’on avait reçu comme apprentissage quelques années plus tôt, on est allées rechercher plutôt justement la figure du jardin, celle du jardinier, celle du jardinage pour nous accompagner à essayer d’opérer pour nous une espèce de révolution, pour passer de cet aménagement de l’espace, justement, à quelque chose qu’on pourrait appeler « le ménagement du monde » : aller rechercher plutôt l’action, le faire, la petite échelle, la question du sensible, du vivant. Avec ça, on a toutes les deux formé Les Espaces Verts. »

« On a rencontré le lieu, mais aussi beaucoup les personnes qui y travaillent. Ce qu’il nous paraissait important de rajouter, c’est que justement le fait de travailler sans plan et sans commande – bon, je vais le répéter – pour ce projet, et plus dans une démarche de création qui se fabrique petit à petit, c’est à ce moment-là qu’on se rend compte qu’on a laissé un peu les outils de notre profession de paysagistes et du coup, de ne pas avoir aussi répondu à un appel à projets avec un cahier des charges prédéfini et de nous fabriquer nous-mêmes les contraintes de la commande, enfin de… je ne sais pas comment dire… du jardinage. Voilà, je ne sais pas si… Ah oui, et puis aussi quand même, du fait que ce qui est intéressant de se déplacer, enfin voilà, de quitter cette posture un peu d’expert paysagiste, ça permet aussi de se rendre plus disponible et plus poreux aux situations et aux personnes et aux lieux et aux animaux… enfin, un peu à tout le monde, et de ne plus employer un vocabulaire… en jargon, quoi, d’expert. »

« Et pour ce projet, au moment où on y répond, on ne connaît pas ce territoire-là, mais on connaît les choses qui nous titillent à ce moment-là toutes les deux et les choses qu’on a envie de travailler, de questionner dans les territoires et donc on en profite pour vraiment se saisir à bras-le-corps de la question de la gestion et de l’entretien, qu’on met au cœur de notre réponse dans l’appel à projets. Et puis on se dit que, voilà, c’est finalement une question qui, dans nos métiers, est souvent mal ou peu posée, la question de l’entretien, de la gestion d’un espace public après livraison, d’un parc après livraison, mais que aussi peut-être dans l’art, dans la question de l’art dans l’espace public, il y a aussi la question de l’entretien, de la gestion des œuvres dans le temps qui fait sens aussi. Puis parce qu’on vient avec cette posture, avec cette idée du jardin et du jardinage, on sous-tend forcément la question d’un temps un peu long, la question de l’entretien et donc on vient s’insinuer dans la commande en expliquant gentiment qu’en fait, on vient installer un jardin et que ça va durer, et que, du coup, dans ces types de commandes aussi souvent, il y a des temps un peu définis. »

« On passe beaucoup de temps sur place, on passe beaucoup de temps à marcher, d’abord toutes les deux, puis après avec une série d’acteurs, de syndicats gestionnaires des bords du lac, avec les gens du Centre d’art, avec des élus, et puis on arrive à déterminer, à se mettre d’accord sur un bout de forêt assez large, dans lequel on va pouvoir trouver notre terrain de jeu et après, on nous laisse un peu faire, même complètement. Avec Marion, on se choisit un espace, après avoir fouillé un peu plus dans ce morceau de forêt, et puis très concrètement, on le délimite au cordeau. On a à peu près 150-200 m² et puis on se donne le principe, à partir de là, que rien ne rentrera et rien ne sortira de ce clos, qu’on va jouer à l’intérieur à le jardiner. On commence, on se fait notamment une porte pour pouvoir y accéder. Ensuite, on va jouer avec tous les éléments qui sont dedans, en se disant que tout devra y rester, tout devra continuer d’y être contenu, donc quand on taille, le fruit de la taille, on doit lui trouver une place, etc. et on transplante… il y a des gestes plus radicaux que d’autres… et on se fabrique comme ça, petit à petit, un espace qui est à la fois tout à fait en dehors et complètement au milieu de cette forêt, un peu à la manière d’un animal qui se fait, petit à petit un terrier dans un bosquet. De la même manière qu’à La Fonderie, on y passe beaucoup de temps et puis on se met à se parler de moins en moins, ça devient… enfin, c’est un peu une transe, quoi, il commence à se passer des choses… on perd la notion du temps, on rentre tout à fait dans des rituels, dans des gestes répétés inlassablement, on balaye même le sol de la forêt. Puis on prend conscience de ça : tant que l’entretien continue, la clairière, elle reste, le jardin perdure, et si l’entretien cesse, petit à petit, on sait que l’embroussaillement reprend. Là, en l’occurrence, il y a beaucoup de houx, on sait que petit à petit, il va revenir, malgré le piétinement, ça va mettre un peu plus de temps, mais voilà… on prend conscience aussi de l’impact de nos gestes et de leur réversibilité à plus ou moins long terme et on sait que si tout d’un coup, on arrête de venir là régulièrement, sur des dizaines et des centaines d’années, on sait qu’il y a quand même des choses qui vont rester. Certains de nos actes, notamment de transplantation… on sait qu’il y a des de haies qui vont rester dans ce bout de forêt, qui seront bien trop droites pour être honnêtes à cet endroit-là. On prend conscience de toutes ces choses-là aussi. Voilà… donc un travail beaucoup fait de gestes répétés, de ranger, déranger, balayer… on commence par tout décomposer, puis on recompose dans un autre agencement et c’est vraiment ce rapport un peu quotidien au lieu qui nous fait vraiment rentrer dans un entretien… en fait, on finit par l’habiter tout à fait, ce lieu-là, et vraiment par entretenir un peu comme une conversation avec lui, comme on entretient un feu, finalement, en le réalimentant régulièrement pour ne pas qu’il s’éteigne. »

« Le format de résidence est toujours un format assez particulier, où on est là un temps de manière très intense, mais ensuite, on s’en va complètement ou alors on revient juste en pointillé, donc il nous fallait des complices de toute façon sur place. Ça allait avec cette idée de jardin dans la forêt qu’il nous faudrait des jardiniers assez régulièrement pour continuer à balayer le sol de cette forêt. Au-delà même de cette question-là de l’entretien de ce jardin, on se dit qu’il y a quelque chose de fort à poursuivre et que peut-être il y a un vrai manque aujourd’hui de cette cohabitation-là au territoire, de cette cohabitation au vivant, et que par le faire, par le prendre soin, comme ça, même d’un tout petit morceau de territoire, il y a quelque chose d’assez fort qui se lie et donc naît dans ce duo-là, au-delà de l’envie du jardinage, l’envie vraiment de créer une multitude de jardiniers du monde et d’aller vraiment, par projet, chercher comme ça toute une série de complices avec qui partager ce bonheur de l’entretien. »

« Il y a une des questions aussi qu’on s’est beaucoup posée dans le travail : en fait, ce sont souvent des projets qui sont difficiles à prendre en photo – là dans la forêt notamment, c’est très difficile – et autant on ne fait pas de plan au préalable et on ne dessine pas au préalable, mais autant garder des traces des projets, des choses qui nous ont traversées au moment de les faire, c’est hyper important pour nous et aussi dans un questionnement, parce que ça vient souvent dans nos projets aussi, la question des personnes qui arrivent et qui disent : « Ah, c’était comment avant ? Qu’est-ce que vous avez fait ? » Parce qu’on est quand même sur des gestes pour certains assez francs, mais voilà, si on n’a pas l’avant/après, il y a aussi quelque chose d’assez subtil dans certains des gestes et par le dessin, ça nous permet aussi de raconter ces séries d’actions qu’on a eues. »

« C’est ça aussi la force de ces projets où on se lie très très fort à un territoire pour des périodes plus ou moins longues, donc a fortiori, sur la question du jardin, on sait que de toute façon, on fera toujours des détours discrets pour revenir voir les lieux, tailler une branche ou replacer une pierre qui a roulé. Voilà, on part aussi sur des histoires au très long cours. On s’était dit qu’on conclurait un peu sur cette question un peu de l’hybridité, du décloisonnement des pratiques : est-ce qu’on est jardinières, artistes, paysagistes ? En fait, nous on avait un peu envie de s’en moquer et de se dire que c’était bien pratique d’être tantôt l’un, tantôt l’autre et que finalement, c’était aussi assez amusant que ce soit souvent le territoire, l’aventure qui décide de notre costume. »

  1. Sophie Poirier

« J’écris aussi des articles, des reportages et j’écrivais à l’époque une « Déambulation » tous les mois pour le magazine JUNKPAGE et donc c’est au cours d’un travail d’écriture pour le magazine JUNKPAGE que je suis tombée sous le charme, au sens presque littéral, c’est-à-dire dans la magie, en tout cas dans une sorte de sortilège, d’un immeuble qu’on appelle « Le Signal », qui est isolé, abandonné, encore un petit peu en front de mer à Soulac, dans le Médoc, et il est, comme ça, tout au bord de ce qui reste d’une dune. »

« Quand moi, j’entre dans cet immeuble avec Olivier Crouzel, on est 10 mois, en gros, après cette évacuation, cette expulsion et l’immeuble n’a pas été, à ce moment-là, complètement dégradé. En fait, quand on rentre dans cet immeuble… c’est interdit, c’est ce que je raconte dans cette première Déambulation, dans ce premier texte : c’est interdit d’entrer, on passe sous les barrières, voilà, on avance là-dedans, c’est le mois de novembre, il fait froid, le vent s’engouffre un peu partout, ça craque, ça grince, les portes claquent. On ne sait pas trop si on est dans un lieu abandonné ou pas, et puis on va, comme ça, avancer. En fait, quand on va entrer, comme ça, dans chaque appartement ouvert, on va tomber sur des sortes de scènes un peu saisissantes et un enchaînement, comme ça, de situations, avec quand même aussi quelque chose qui était important dans mon désir d’entrer dans cet immeuble, c’était cette vue sur la mer et ce rapport que cet immeuble avait, a fortiori là, avec à peine 10 m de distance… ce rapport qu’avait cet immeuble avec ce paysage océanique, que je considérais à ce moment-là comme une vue sur la mer, mais en entrant dans l’immeuble, on était quand même davantage sur une vue dans la mer, avec la mer… il y avait quelque chose du paysage océanique qui était très fort. »

« Ça, on le sait depuis quelques années, que soit il va être détruit, parce que l’océan va s’approcher… ça, c’est quand même un peu fantasmé, mais… soit il est détruit de cette façon-là, soit il est détruit comme ça va se passer prochainement, mais jusqu’à, en gros, presque avant-hier, on ne savait pas quand. Les choses commencent à se dessiner. Alors qu’est-ce que je viens faire là-dedans, moi ? En fait, il se passe, avec cet immeuble, une relation… alors moi, j’ai appelé ça une relation d’inspiration, c’est-à-dire qu’à chaque fois que je vais devant cet immeuble ou dans cet immeuble, il y a quelque chose qui s’écrit, il y a quelque chose qui se passe et ça devient, petit à petit, quelque chose d’un peu obsessionnel qui finit par déboucher sur un manuscrit et un livre, que je sous-titre « Récit d’un amour et d’un immeuble », en fait. C’est pour sourire, vu que je suis tombée amoureuse d’un immeuble et que ce n’est pas fréquent… enfin, c’est la première fois que ça m’arrive, et cet immeuble, il n’est pas à moi, je ne l’ai jamais habité, je n’ai pas grandi à Soulac, je n’ai a priori aucune raison de tomber amoureuse de cet immeuble. Donc je vais écrire sur ça. »

« À chaque fois que j’y vais, j’écris, je prends des notes… Là, il a presque l’air de disparaître. On l’a regardé sous toutes ses coutures, à toutes les saisons, j’ai développé une sorte d’affection pour lui. Quand il y avait des tempêtes, je me disais : « Oh là là, le pauvre, il est tout seul », c’était un peu idiot comme ça, mais… »

« Le choc esthétique, il se réveille à chaque fois et à chaque fois, cet immeuble poursuit sa relation avec ce paysage océanique, s’y mélange, nous montre autre chose, il prend une géométrie assez parfaite. Alors tout d’un coup, il se retrouve comme sur des pilotis, par exemple, puisque tout le rez-de-chaussée a été supprimé. Donc il a une sorte d’élégance qu’il n’a jamais eue, parce qu’avant, c’était un pauvre cube posé comme ça. Il prend, comme ça, en légèreté. Donc j’arrive encore, moi, à trouver de la beauté, en fait, à ce lieu et l’intérieur… alors là, il reste encore des traces de cette moquette orange, qui ??? (00.55.03) un appartement qui était assez extraordinaire, tout en moquette orange… de l’époque des années 70, donc. Cette géométrie – voilà, à l’intérieur, maintenant, c’est comme ça – devient de plus en plus pure, enfin, il y a quelque chose d’une pureté, des lignes, qui va parfaitement avec mon fantasme pour cet immeuble. »

« Et en fait, je me rends compte que ça ne m’intéresse pas du tout ces questions-là, à ce moment-là de ma vie, dans l’écriture, que je vais plutôt m’autoriser à raconter que je suis tombée amoureuse d’un immeuble, essayer de comprendre ce qui s’est passé, pourquoi, c’est d’être à la fois en face d’un immeuble qui est devenu pour moi un objet de fantasme, un espace à imaginer et en même temps documenté, qui fait aussi poser des questions plus larges sur cette époque où on pense que l’amiante, c’est un argument de vente, où on aménage la côte atlantique pour le tourisme. C’est la fin des Trente Glorieuses, on est dans un rapport au monde, à la nature, etc. qui ne souffre pas le doute et quand on voit vraiment la plaquette de vente de 1970, on se dit : « Mais oui, effectivement, personne n’avait de doute. » Et là, tout d’un coup, on est quand même en face d’une catastrophe. Voilà, il y a aussi tout ça qui se raconte et c’est quand même aussi, je me dis, mes 50 ans à moi aussi… Donc j’accepte que cet immeuble devienne un livre avec une histoire qui soit à la fois un peu envahissante, un espace pour les fantômes… puisqu’il me hante, je vais le hanter à mon tour, donc j’y mets aussi des fantômes à moi. Enfin voilà, je fais mon texte. »

« Par contre, par rapport à cette question de la création située, pour le coup, là, c’est vraiment un travail en toute liberté, qui s’est fait au long cours, mais qui, justement, ne souffrait pas qu’on en parle, qu’on demande aux décideurs ce qu’ils en pensaient, qu’on mêle les habitants à ça, parce que c’est trop compliqué, trop douloureux, il y avait des enjeux financiers énormes, donc c’était plutôt en cachette, quoi. Donc on est dans une autre position, plus intime sûrement aussi. »

« Et dans ces questions de territoire, il y a une question, moi, qui m’est venue aussi, c’était : en fait, à qui ça appartient un lieu comme ça ? Les lieux dont vous avez pu parler, les uns les autres, quand on s’installe là, à qui ça appartient ? Est-ce que ça appartient à ceux, comme moi, qui sont plutôt des rêveurs qui se l’approprient, qui l’aiment un peu, comme ça, pour des raisons très intimes ? Est-ce que ça appartient à ceux qui ont habité là ? Est-ce que ça appartient aux décideurs ? On voit bien comme c’était compliqué, justement, cette question-là aussi. Techniquement, à qui ça appartient ? Est-ce que ça appartient autant à ceux qui ont eu un grand souvenir de vacances en habitant là ? »


Mécaniques et jeux d’acteurs d’une démarche créative relationnelle, décloisonnée et hybride

Aurélien RAMOS

Après avoir observé la diversité des pratiques de la création située en donnant la parole à des concepteurs issus de différents champs de la création, la deuxième journée d’étude, organisée en octobre 2021, avait pour objet d’interroger le processus de production d’une création située.
Nous avons vu que les démarches de création située se positionnaient à l’interface de différents champs disciplinaires et professionnels. Selon qu’elle est mise en œuvre par un paysagiste, un photographe, un auteur ou un plasticien, la démarche de création dans un territoire n’est pas abordée de la même manière. L’objet de la deuxième journée d’étude a alors été de chercher à comprendre comment ces différences liées à des champs disciplinaires et pratiques différentes se traduisaient dans la démarche de production créative.

Aborder la création située comme un processus, c’est s’interroger sur les actions, les mécanismes et les outils mobilisés pour mettre en œuvre un projet ancré dans un territoire mais également sur les interactions entre les acteurs impliqués dans cette démarche créative, sur un temps et un espace donnés. Afin de comprendre les caractéristiques du processus de création située, nous mobiliserons des outils et des cadres de lecture issus de disciplines et de domaines qui pratiquent cette forme de production en situation : les champs artistiques et les champs de la conception de l’espace et de l’aménagement.
L’analyse du processus créatif - quel que soit le domaine - revient souvent à tenter de le rationaliser en distinguant des phases successives traduisant le passage de l’idée à la forme. Dans la plupart des champs disciplinaires, on distingue les phases préparatoires des phases de réalisation et de leur interdépendance68. On sait également qu’au cours de ce processus, des acteurs aux compétences et champs d’expertises différentes interviennent à la fois successivement et simultanément. Le champ de l’aménagement est par définition un champ pluridisciplinaire. La démarche de projet et le processus de conception reposent sur une chaîne d’opérations au cours de laquelle différents acteurs aux compétences diverses interviennent : le projet d’aménagement repose sur un processus de coopération et une démarche collective69. De même, dans le champ de la création artistique, la production d’une oeuvre s’inscrit dans un réseau d’acteurs coopérant : commanditaire, artiste, mais aussi fabricant de matériel, public, distributeur, critique, éditeur et théoricien, participent à former un collectif nécessaire à la production de l’oeuvre mais également à sa reconnaissance comme expression artistique70.

Lors de la deuxième journée d’étude en octobre 2021, nous avons proposé d’aborder le processus de création située selon quatre séquences :

  • la programmation : il s’agit d’une étape préparatoire dont les caractéristiques sont similaires dans les champs de la création artistique et dans les champs de l’aménagement. Cela consiste à définir les besoins et les objectifs de la production en élaborant un cahier des charges, à planifier le projet et à évaluer ses besoins financiers. La programmation pose ainsi les principes généraux conditionnant en amont le travail de conception71. Mais la programmation ne se borne pas à la préparation de la phase de production. Dans les champs de l’aménagement, la programmation est envisagée comme une étape transversale permettant de faire le lien entre les demandes citoyennes, les objectifs politiques et techniques et l’ingénierie de la conception urbaine72. Elle repose en revanche sur une autonomie par rapport à la démarche de conception. La programmation culturelle quant à elle, joue un rôle de coordination sur le plan logistique et technique afin d’assurer la mise en œuvre du projet. Elle vise également à établir la stratégie de communication, de promotion et de diffusion et éventuellement également d’évaluation du projet une fois réalisé73.

  • la production : c’est l’étape de création et de réalisation en tant que telle au cours de laquelle les concepteurs répondent au cahier des charges établi durant l’étape de programmation, imaginent des propositions formelles et choisissent des modes de réalisation pratique et technique. Dans le champ de l’aménagement, la production est une étape séquencée dans laquelle interviennent différents champs professionnels allant de la conception à la mise en œuvre. Cette étape représente le moment où l’idée s’incarne formellement dans l’espace. En architecture comme en paysage, on distingue la phase de conception de la phase de réalisation. La démarche d’analyse, préalable à tout projet de paysage74, n’est pas pour autant extérieure au processus créatif : l’analyse du site de projet est elle-même « inventive »75. Le travail de conception s’incarne ensuite dans un travail d’esquisse servant de base pour la réalisation des documents techniques en vue de la mise en œuvre76. La phase productive inclut également le temps du chantier, étape intermédiaire de fabrication avant la livraison du projet77.

  • la gestion : il s’agit de l’étape postérieure à la réalisation qui consiste à assurer la pérennité du projet tel qu’il a été livré. Cela consiste à organiser et planifier les actions nécessaires à mettre en œuvre, face aux différentes formes d’altérations du projet, qu’elles soient liées au passage du temps, aux aléas climatiques ou à l’obsolescence matérielle78 de même qu’aux usages et aux formes d’appropriation dont le projet peut faire l’objet79. Il s’agit de toutes les actions d’entretien, de maintenance80 ou encore de soin ou de care81 qui contribuent à la durabilité de la réalisation dans le temps. Dans le champ de l’aménagement comme dans le champ artistique, cette étape au long court est généralement prise en charge par des acteurs distincts des concepteurs : elle repose non plus sur un financement d’investissement mais d’exploitation. Cette étape, souvent considérée comme étant extérieure au processus créatif, fait toutefois l’objet d’un regain d’intérêt dans le champ artistique82 au travers notamment des oeuvres à protocole83 de même que dans le champ de la conception et de l’aménagement des espaces publics84 dans un contexte de transition vers une production urbaine plus sobre et durable.

  • la réception : cette étape s’intéresse à la manière dont le création produite est perçue et appropriée par les usagers et/ou spectateurs. Dans le champ artistique, comme le décrit Marcel Duchamp, l’œuvre se situe toujours entre deux polarités : le pôle de celui qui fait l’œuvre et le pôle de celui qui la regarde85. Pour comprendre une production artistique, il convient alors de prendre en compte deux aspects : la production et la réception de l’œuvre86. Le travail de réception des productions artistiques fait l’objet de missions spécifiques d’accompagnement des publics et de médiations culturelles et peut être pleinement inscrit dans le processus de création87. Dans le champ de l’aménagement, la question de l’usage et de l’appropriation des espaces produits intervient à la fois a posteriori du projet au cours de son évaluation mais également en amont : la généralisation des démarches de participation citoyenne dans le cadre des projets publics d’aménagements88 de même que la reconnaissance de la maîtrise d’usage89 contribue non seulement à envisager la réception des projets mais également à redéfinir les cadres du processus de conception.

Si cette structure en quatre séquences permet une compréhension organisée du processus de création, à la fois dans le champ de la production artistique et dans celui de la conception de l’espace, qu’en est-il pour la création située ? Le caractère situé d’une création contribue-t-il à requestionner la structure et le fonctionnement de son processus de création ?

Nous faisons l’hypothèse que la création située repose moins sur une segmentation dans le temps des étapes de création que sur leur continuité. De même, la création située contribue au croisement des compétences et à l’imbrication des acteurs plutôt qu’à leur juxtaposition successive au cours du processus de création. La création située est un processus nécessairement transversal, interactionnel et itératif.

Afin d’interroger en quoi la création située invite à réinventer le processus de projet, le rôle et les interactions des acteurs impliqués, la journée d’étude « Retour sur des créations situées » a donné la parole à des porteurs de projet, des concepteurs, des gestionnaires et de de bénéficiaires de création.
Pour l’étape de programmation, nous avons sollicité des acteurs ayant accompagnés la production d’oeuvres situées : Gilbert Fillinger fondateur et directeur de l’association Art et Jardins en Hauts-de-France, pour la programmation du festival des Hortillonnages et Marianne Lanavère, ancienne directrice du Centre international d’art et de paysage de Vassivière (CIAPV) et initiatrice du programme Vassivière Utopia (2018-2020) ainsi que Guillaume Baudin et Lucie You, chargés de mission programmation au CIAPV dans le cadre du programme Vassivière Utopia et Marie-Anne Chambost membre du bureau des médiateur·trices Arts et Sciences de Nouvelle Aquitaine, antenne locale de l’action nationale Nouveaux commanditaires.
Pour l’étape de la production, nous avons essentiellement donné la parole à des acteurs impliqués dans la réalisation d’oeuvres situées : Liliana Motta, artiste dont l’oeuvre L’Amphithéâtre est présentée dans le Bois de sculpture du CIAPV et qui a réalisé également l’oeuvre à protocole Dehors en 2007 à l’occasion de l’exposition Transhumance, L’Amicale Mille Feux, collectif d’artistes auteurs du projet Pierre, Planche, ruisseau réalisé dans le cadre de la troisième édition du programme Vassivière Utopia en 2020 à Lacelle et Hélène Laigneau, membre de l’association Eclats de rives, impliquée auprès du collectif de paysagistes Atelier Bivouac dans le projet de La Clairière réalisée lors de la première édition de Vassivière Utopia en 2018 à Saint Martin-Château.
Pour l’étape de gestion, nous avons donné la parole à Carine Ravaud, régisseuse au CIAPV en charge de la gestion des œuvres du programme Vassivière Utopia ainsi que Mathieu Tiquet du chantier d’insertion RIS (Relais infos services), entreprise prestataire participant à l’entretien des oeuvres et de leurs abords. Nous avons également donné la parole à Marion Ponsard, paysagiste et membre du collectif Les espaces verts, autrice avec Juliette Duchange du projet Un jardin dans la forêt réalisé dans le cadre de la deuxième édition du programme Vassivière Utopia à Masgrangeas en 2019.
Enfin, pour la question de la réception, dernière étape du processus création, nous avons mobilisé d’une part, Nadine Lafon, maire de Lacapelle-Biron (Lot-et-Garonne) qui, dans le cadre du programme des Nouveaux Commanditaires, a accueilli la réalisation d’une oeuvre de Nicolas Daubanes réalisée en 2020 et d’autre part Pomme Boucher, membre du bureau des médiateur·trices Arts et Sciences de Nouvelle Aquitaine.

La mise en dialogue de ces quatre étapes visait à proposer une lecture transversale du processus de création située, dépassant les segmentations qui distinguent habituellement l’aval et l’amont du projet, la production créative de sa réception, mais également la maîtrise d’ouvrage, de la maîtrise d’oeuvre et de la maîtrise d’usage, ou encore le commanditaire, de l’artiste et du spectateur.

A partir des échanges au cours de cette journée, nous pouvons identifier comment la création située contribue à dépasser le découpage traditionnel du processus de création.
Nous verrons tout d’abord que la création située remet en question la distinction entre concepteurs/artistes et spectateurs/usagers. Le processus de création conduit à reconfigurer également leurs relations. Nous montrerons ensuite comment la démarche de création située oblige à dépasser la structuration linéaire du processus de création, invitant à considérer comme créatives les étapes préparatoires (commande, programmation) aussi bien que les étapes postérieures (gestion et réception). Enfin, en nous appuyant plus particulièrement sur le programme Vassivière Utopia, nous montrerons que la création située peut conduire à brouiller les limites entre oeuvre d’art et aménagement, inventant des dispositifs hybrides où la création artistique et le territoire s’entremêlent par-delà la distinction entre finalités esthétiques et sociales.

1. Créer avec un territoire habité : reterritorialisation, action collective, immersion

Sortir l’art du musée : la création à l’épreuve des territoires ordinaires

Le mouvement du land art a acté pour les artistes, la sortie hors de l’atelier et la confrontation au territoire90. L’environnement est devenu non seulement le cadre de l’action créative mais également l’objet de la création : l’air, l’eau, la terre, la topographie, constituent des matériaux de création qui sont manipulés et esthétisés91 non plus en termes de représentations mais comme ressources matérielles. L’ambition est, dès l’origine, de s’affranchir des institutions muséales et de confronter l’art à l’environnement92. Mais si ce « retour à la Terre »93 a conduit à la mise en scène de la nature et des paysages, le land art avait également comme objectif d’abolir les frontières entre les arts et d’œuvrer à leur démocratisation. Les œuvres de création située s’inscrivent dans la continuité de cette dynamique. Le festival international de jardins - Hortillonnages à Amiens porté par l’association Art & Jardins Hauts-de-France vise depuis sa première édition en 2010, à la fois à faire découvrir un paysage singulier (celui des territoires marécageux de l’ancien lit de la Somme composé des parcelles maraîchères et des rieux) et à accompagner un public vers la création artistique. Gilbert Fillinger directeur et fondateur de l’association, exprime bien comment il a mobilisé l’ancrage territorial et surtout le paysage comme un vecteur pour capter un public que les institutions culturelles peinent à attirer : « Rencontrer de nouveaux publics et toucher des habitants ayant peu accès à la culture, ce qui a toujours été mon obsession quand j’étais directeur d’une Maison de la culture. Vous savez que vous êtes une sorte de cathédrale de la culture et qu’il y a des gens qui ne viendront jamais. Et là, dans la nature, vous avez subitement quelque chose qui est beaucoup plus facile, puisque le discours, il faut l’avoir, mais vous pouvez emmener des gens sans discours, puisque les gens vivent leur expérience ».
L’implantation en 1991 du CIAPV aux confins des départements de la Creuse, de la Haute Vienne et de la Corrèze, sur une île au milieu du lac artificiel créé en 1983 traduit bien l’ambition de re-territorialiser la création contemporaine. Composé d’un lieu d’exposition, d’un espace de résidence et d’un parc de sculptures, le CIAPV se présente comme un équipement culturel et un espace public. Pourtant cette localisation singulière ne semble pas être une condition suffisante pour inscrire la création dans son territoire. L’ancienne directrice du CIAPV Marianne Lanavère déclare ainsi avoir : « essayé de tordre un peu cette typologie du parc de sculptures, à la fois en essayant d’élargir le périmètre de l’île, où on était à la fois dans une forme de hors-sol, puisqu’on n’est pas dans un village, qu’on est un parc touristique, donc avec une très grande difficulté d’agir sur un territoire, puisque le premier village est à 20 km ». Cette volonté de transgresser les limites du musée « hors les rives » s’est tout d’abord traduite par la commande d’une œuvre d’art à l’artiste Dominique Ghesquière en 2013. Celle-ci a été installée sur le Chemin des Poètes dans la commune d’Auphelle94. Deux programmations artistiques délocalisées ont ensuite été développées : l’exposition-parcours Transhumance en 2017 dans laquelle une sélection d’œuvres étaient disséminées le long d’un parcours reliant le parc de sculptures de l’île de Vassivière aux communes alentour95 et les trois éditions du programme Vassivière Utopia (2018, 2019, 2020) à l’occasion desquelles, neuf œuvres ont été co-produites par le CIAPV et des communes autour du lac. Derrière ces dispositifs, la volonté est bien d’« ancrer le centre d’art dans son environnement proche en essayant de travailler dans les communes directement, avec les associations, avec les habitants, pour sortir de notre île » comme l’affirme Marianne Lanavère.
On voit combien cette recherche d’ancrage dans les territoires traduit une lecture à la fois spatiale mais aussi sociale de l’environnement. Intervenir dans les communes autour du CIAPV s’inscrit dans la continuité du mouvement du land art qui, pour se déployer, nécessite des espaces vastes, et qui trouvent dans les paysages une ressource créative. Mais les œuvres de création située ne reposent pas uniquement sur la dimension matérielle des territoires : ils sont envisagés dans leur dimension sociale. En effet, c’est en tant qu’espaces habités que ces territoires constituent des supports et des vecteurs de la création. Le fait d’envisager les territoires dans leur dimension sociale permet alors d’en faire des acteurs à part entière du processus de création.

Construire un collectif

La création située permet de s’adresser aux habitants des territoires dans lesquels elle a lieu en utilisant les espaces publics ordinaires comme des points de rencontre avec un public. Cette logique consistant à aller chercher les spectateurs sur leur propre terrain amène à reconsidérer le rôle de chacun des acteurs et invite à décloisonner les distinctions entre commanditaire, artiste et spectateur. Le territoire est envisagé comme le point de départ de l’œuvre située : il peut être envisagé comme l’initiateur de la création.
Si le territoire dans sa matérialité et sa spatialité reste la ressource et l’objet de la création située, ses habitants peuvent être envisagés comme les commanditaires. Dans le programme Vassivière Utopia, le CIAPV propose une résidence de création visant la production d’œuvres dans le territoire autour du lac et plus précisément dans « l’espace public dans les communes rurales du pays de Vassivière (villages de 50 à 1000 habitants)»96. Le CIAPV est à l’initiative de la démarche mais se défend d’en être le seul commanditaire. En effet, une fois sélectionnés par une commission présidée par le CIAPV, les artistes sont mis en contact avec des collectivités territoriales partenaires. Ce sont les communes qui choisissent alors l’équipe d’artistes avec laquelle elles souhaitent travailler. Au travers de cette programmation de création située, le CIAPV met les communes en position de commanditaires effectifs.
De même, l’action des Nouveaux commanditaires vise à démocratiser la commande artistique en l’ancrant dans un territoire vécu. Initiée dans les années 1990 par l’artiste François Hers avec le soutien de la Fondation de France, la démarche propose un renversement du rapport entre spectateur·trice et commanditaire. Ce dispositif consiste à démocratiser la commande d’œuvre en permettant à toute personne de la société civile de se constituer commanditaire artistique. Tel que le précise Marie-Anne Chambost, membre du bureau des médiatrices et médiateurs Arts et Sciences en Nouvelle-Aquitaine au sein de la structure Point de Fuite, l’objectif est bien d’« écouter une demande citoyenne, véritablement, et faire en sorte que cette demande citoyenne puisse se réaliser par le biais d’une œuvre grâce à un médiateur ou une médiatrice ». Cette transformation du public, potentiel bénéficiaire, d’une œuvre d’art en commanditaire repose sur une forme de médiation renversée. En effet, dans le cadre du programme Vassivière Utopia comme dans celui des actions Nouveaux commanditaires, il y bien des médiateurs qui interviennent, mais à rebours du travail de médiation habituel. Il ne s’agit plus d’accompagner le public vers l’artiste mais à l’inverse, de trouver l’artiste qu’un public recherche. Le CIAPV joue l’intermédiaire entre une équipe d’artistes et des communes présélectionnées en amont du programme Vassivière Utopia : il met en contact, coordonne et facilite les échanges sur le plan matériel et pratique. Dans le cadre des actions des Nouveaux commanditaires, le processus est le même, mis à part qu’aucun artiste n’est présélectionné en amont. L’identification d’un commanditaire potentiel est à l’origine de la formulation d’une commande artistique. Marie-Anne Chambost décrit le rôle du médiateur dans ce processus de la manière suivante : « Quand le médiateur a identifié un groupe de commanditaires ou quand il favorise ce groupe de commanditaires, il les accompagne dans ce qu’on pourrait appeler « un cahier des charges ». Pourquoi un cahier des charges ? Parce que ce cahier des charges va être, en fait, le fil rouge et va être en quelque sorte la feuille de route qui va pouvoir être transmise à un artiste. Et là, le médiateur le fait, bien évidemment, toujours en étroite collaboration avec les commanditaires. C’est là où c’est vraiment un modèle innovant dans la mesure où les commanditaires, ils sont acteurs de la commande de bout en bout, c’est-à-dire qu’on ne les laisse pas de côté, on ne leur demande pas quelque chose à un moment et puis ensuite : « Débrouillez-vous, vous verrez apparaître enfin l’œuvre. » Ils sont là à chaque étape, à tel point qu’ils sont signataires d’un contrat d’étude. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu’à un moment, les commanditaires rencontrent un artiste et ça se contractualise si l’entente se passe bien. Si l’envie d’expérimenter ensemble répond aux attentes de chacun, on signe un contrat d’étude. Donc là, il y a un vrai engagement on va dire « citoyen », mais c’est vraiment un acte politique de se lancer dans une commande pour chacun”. Ni le CIAPV, ni les médiateurs dans le cadre des actions des Nouveaux commanditaires ne se présentent comme les initiateurs de la commande d’œuvre située, ils sont des intermédiaires entre les habitants d’un territoire et la création artistique. Toutefois, dans le cas de Vassivière Utopia comme dans le cadre des actions des Nouveaux commanditaires, ce sont bien ces structures « médiatrices » qui impulsent et financent la création. On pourrait donc voir dans leur action une forme de délégation de la commande artistique auprès des acteurs d’un territoire, selon un principe de subsidiarité. Ces structures contribuent donc à garantir que la création repose sur un ancrage socio-spatial.

Immersion spatiale, implication sociale : la création située au coeur des territoires habités

Cet ancrage se traduit par l’immersion spatiale et l’implication sociale des artistes. Le festival des Hortillonnages de même que le programme Vassivière Utopia proposent aux artistes sélectionnés des résidences de création d’une durée pouvant aller d’un à trois mois, de manière continue ou discontinue. Ces temps de résidence sont envisagés comme des moments privilégiés de production artistique. Les résidences de création constituent avant tout des formes de soutien à la création et à l’action culturelle : elles offrent les conditions techniques et financières pour la création97 et contribuent à la professionnalisation des artistes. Toutefois, ces dispositifs sont également des vecteurs de diffusion culturelle mais également de cohésion sociale98 et de valorisation des territoires99 dans lesquels ils s’installent. Ces temps de production in situ sont pensés comme des moments de sociabilité et de rencontre entre les artistes et les habitant·es du territoire. La création située est envisagée également comme une création collective dépassant la distinction entre champs de compétences, artiste-concepteur·trice et public-habitant·es. Pour Liliana Motta, l’interdisciplinarité est la condition de la production d’une création en situation : « aujourd’hui, on ne travaille plus tout seul. Même quand on est artiste, on travaille toujours en bande, en équipe. Et c’est de cette manière-là que quelque part, on peut arriver sur certains sites à être confrontés à des conflits d’usage, à des situations, par exemple, de pollution, des situations très diverses auxquelles on est quand même amenés à demander des expertises extérieures, que ce soit un sociologue, que ce soit un historien, que ce soit un ingénieur qui connaît la question du problème. Cette expérience collective crée la forme de ce nouvel endroit, qui, en fait, avait déjà toutes les qualités lui-même, mais elles étaient invisibles pour les autres ». Dans le cadre du protocole des Nouveaux commanditaires, si en principe, toute personne peut devenir commanditaire, il est fortement recommandé de le faire en association : ainsi, c’est souvent un collectif qui se constitue pour assumer collectivement « la responsabilité d’une commande d’œuvre à un artiste »100. Marie-Anne Chambost explique bien combien la création située s’appuie sur l’ancrage social des habitant·es initiateur·trices de projet de création : « les commanditaires eux-mêmes étant très inscrits dans un territoire, ils ont un réseau, ils ont même parfois des connexions avec le monde social et économique qui vont, à un moment, s’agréger dans le projet. Vous voyez combien on part peut-être d’un groupe relativement restreint et au bout du compte, on peut être extrêmement nombreux ».
Pour le programme Vassivière Utopia, la création collective est également une manière de répondre au cadre de l’action située : « On a privilégié des équipes plutôt que des candidatures individuelles pour faire face aussi à l’échelle du territoire, pour avoir plus de force d’action sur le local » rappelle Lucie You, chargée de mission au CIAPV. De fait, les neuf lauréats des trois éditions sont toujours des équipes allant de deux à près d’une dizaine de personnes. Des bureaux d’étude et agences de paysage ou d’architecture101 côtoient des collectifs de concepteurs102 ou encore des groupes interdisciplinaires ad hoc formés pour répondre à l’appel à candidature de Vassivière Utopia103. Il peut s’agir alors d’un collectif hybride où les acteurs institutionnels du territoire, les habitant·es, les artistes mais aussi les familles et ami·es de ces dernier·ères sont impliqué·es. La liste des partenaires des projets réalisés dans le cadre de Vassivière Utopia mentionne aussi bien les institutions telles que le Conservatoire du littoral et de rivages lacustres que le Syndicat du lac, les Mairies de communes voisines du CIAPV, des entreprises locales, jusqu’à des médias locaux tels que Télé Millevaches104. Si comme l’a analysé Howard S. Becker, l’art est toujours le fruit d’une chaîne de coopérations au sein d’un réseau d’acteurs, la création située contribue à ancrer localement ce « monde de l’art »105. L’amicale Mille Feux, association d’artistes installée depuis 2017 en Corrèze et autrice de l’œuvre Pierre, planches, ruisseaux réalisée lors de l’édition 2020 de Vassivière Utopia à Lacelle incarne particulièrement bien cette démarche collaborative et immersive : « C’étaient à chaque fois des chantiers collectifs et participatifs, avec des amis ou des amis techniciens ou des amis curieux ou aussi avec des gens du village, parce qu’on avait fait un appel ouvert de chantier participatif ». Collectif protéiforme, l’Amicale Mille Feux fait de son territoire d’implantation le lieu de leur création. Selon la typologie proposée par Nicolas Aubouin et Emmanuel Coblence (2013), ce collectif qui rénove et occupe un bâtiment au coeur du village qu’il souhaite « collectif et ouvert au public » (Clément Boudin - Amicale Mille Feux) interagit avec le territoire selon le principe de l’« essaim »106 : le bâtiment n’est qu’un maillon de leur projet culturel territorial. Les actions du collectif s’inscrivent en effet dans un réseau de partenariats locaux. Ses membres contribuent à l’animation socio-culturelle, participent à la vie associative voire aux instances décisionnelles locales107.
Lorsque le collectif de l’Amicale Mille Feux propose sa candidature au programme Vassivière Utopia, il s’identifie en tant que groupe d’artistes, mais aussi en tant qu’association locale ancrée sur la commune de Lacelle et, enfin, en tant qu’habitants. Cet ancrage est un point fort de la candidature de l’Amicale Mille Feux mais bouscule le cadre défini par l’appel à projet. En effet le CIAPV souhaite que la résidence de création soit le moment de production artistique en immersion dans le territoire : « On précise bien dans l’appel à candidatures que la résidence est, en premier lieu, un temps de recherche, d’arpentage. Les résidents doivent s’inscrire dans une rencontre avec le territoire, avec les personnes, les lieux, et dans ce cadre-là, on ne peut pas demander un projet déjà conçu, balisé, parce que ça n’aurait pas de sens. C’est quelque chose qu’on veut mettre très clairement dans l’appel à candidatures » rappelle son ancienne directrice, Marianne Lanavère. Cette position conduit à éliminer les candidatures proposant des œuvres déjà conceptualisées ou celles ayant déjà choisie un site de création. Marianne Lanavère résume ainsi le paradoxe d’un programme de création située pour lequel aucun site précis n’est défini : « on veut recruter des candidats pour réaliser un projet sur place, mais sans qu’ils aient préconçu le projet pour leur candidature. En gros, on leur dit qu’on souhaite qu’ils [réalisent] quelque chose, mais on ne sait pas encore ni quoi, ni où, avec qui et on ne veut pas le savoir aussi, pour l’instant. Dans le projet de Vassivière Utopia, il est bien clair que ce que nous voulions, c’est que ce soit l’expérience du lieu, du territoire, qui les conduise vers un projet, une proposition et sa réalisation. Pour une création située, il faut que l’appel à candidatures présente le territoire, mais ne permette pas aux candidats d’anticiper son projet sans qu’il soit sur place, comme je disais. On présente le territoire, parce que c’est l’un des acteurs principaux du projet, mais on ne précise pas où les résidents devront intervenir exactement. » Or, pour l’Amicale Mille Feux, il était impensable de proposer une oeuvre ailleurs que dans leur commune de résidence : « En 2019, on a vu passer l’appel à projets Vassivière Utopia et en fait, on a vu que Lacelle était un village qui devait accueillir une œuvre. Nous, ça nous a vachement questionnés. Nous, on était en train d’essayer de créer une dynamique à Lacelle et de savoir que, possiblement, il y avait des artistes ou des intervenants qui allaient venir d’ailleurs pour faire un truc chez nous, ça nous a un peu heurtés… enfin, on s’est un peu questionnés, on s’est dit : « Qu’est-ce qu’on fait avec ça ? Est-ce qu’on s’y oppose ? Est-ce qu’on participe ? » etc. Et finalement, on a décidé de faire une candidature, qui était un peu spéciale, parce qu’on ne rentrait pas forcément dans le critère. Nous, on n’est pas architectes ou paysagistes, du coup on a fait appel à une amie qui habite à Faux-la-Montagne, qui est paysagiste, qui s’appelle Ninon Bonzom. On a porté la candidature ensemble, c’était Ninon Bonzom et l’Amicale mille feux. On a répondu à l’appel à candidatures avec un projet vraiment spécifique à Lacelle et on voulait travailler sur Lacelle. Je pense que ça a été une question pour le jury, parce que ça ne correspondait pas aux critères » (Clément Boudin - Amicale Mille Feux). Ainsi ce collectif fait un double choix stratégique : il va chercher la compétence externe et spécifique de Ninon Bonzom afin de répondre au cahier des charges technique de l’appel à projet et se présente surtout comme « artistes-habitants » de la commune. C’est en tant que Lacellois qu’ils proposent une création qui ne peut donc avoir lieu nulle part ailleurs que « chez eux ».

2. Décloisonnement et continuité du processus créatif

Les démarches de création située conduisent à repositionner les rôles de commanditaires, artistes et spectateurs : les collectivités territoriales ne sont plus identifiées uniquement comme des commanditaires, les associations, les habitants ou les citoyens ne sont plus considérés seulement comme des bénéficiaires ou des spectateurs mais l’ensemble de ces acteurs sont envisagés collectivement comme des producteurs de l’œuvre située. Cette reconfiguration de la chaîne d’acteurs impliqués dans le processus de création conduit également à transformer le déroulement du processus créatif.

La programmation inventive

Nous l’avons vu au travers de l’observatoire des pratiques de création située, la démarche expérimentale est mobilisée par les concepteur·trices comme un vecteur d’inscription de leur action dans le territoire. La programmation dans le cadre de l’action des Nouveaux Commanditaires fait déjà partie du processus créatif ce qui impose une part d’inconnu, à rebours d’une approche stratégique : « Quand le médiateur est sollicité, il prend connaissance d’un territoire et surtout de ce groupe de commanditaires, mais il ne sait pas vers quelle direction il se dirige. En fait, c’est cette part d’expérimentation, c’est cette part parfois aussi de rendre possible quelque chose qui peut-être ne l’était pas, c’est cette part-là d’accompagnement et de médiation tout au long du projet qui rend la commande Nouveaux commanditaires très riche et très ancrée sur le territoire » (Marie-Anne Chambost). On voit comment se mêlent de manière indistincte, la programmation, la production et la médiation artistique, trois étapes généralement pensées successivement dans la chaîne d’opérations de la production artistique qui, envisagées de manière conjointe et simultanée apparaissent comme une condition de l’inscription territoriale du projet.
Les cadres posés par les Nouveaux Commanditaires mais également par le festival des Hortillonnages ainsi que le programme Vassivière Utopia visent à créer les conditions de l’expérimentation. Cela passe par la revendication d’une forme de souplesse voire d’indéfinition du programme afin de laisser à l’expérience de terrain et à la phase de conception le soin de formuler les contraintes et les enjeux de la création. L’appel à candidatures Vassivière Utopia reste volontairement très vague sur les attendus de la part des candidats : « nous, on présente très peu de contraintes techniques, parce qu’on veut laisser une place et une grande liberté à la création artistique, donc on ne demande pas des choses trop concrètes, trop techniques. Ça reste une direction, ça reste une note d’intention » (Marianne Lanavère)

*Faire : la conception par le chantier

Cette souplesse du cadre d’action laisse toute la place à la démarche empirique de la création située. L’expérience in situ de la résidence de création et du chantier participatif est le cœur du processus créatif où se fabrique le programme, où se construit l’œuvre mais également, où se forment également les spectateur·trices. Cette approche méthodologique a été conceptualisée par Liliana Motta sous le terme de « laboratoire du dehors ». Cette démarche consiste à mettre en place des temps de chantiers ouverts et collectifs au cours desquels le projet prend forme au gré de la transformation matérielle de l’espace par les actions de construction. La conception du projet repose sur la manipulation directe de la matière et des matériaux : la réaction ou la résistance matérielle forme l’idée créative.
Le chantier situé constitue également un vecteur d’apprentissage. Si les œuvres situées reposent sur la coopération d’acteurs divers, le moment de la fabrication constitue un temps de partage de connaissances au croisement entre la conception et la construction. La démarche empirique et inductive du processus de création située repose également sur l’agrégation d’expertises qui viennent confronter, nourrir ou renforcer le savoir acquis sur site. Liliana Motta montre combien l’apport d’une expertise forestière et botanique lui a permis d’identifier les qualités esthétiques du hêtre donnant sa forme à l’œuvre L’Amphithéâtre conçu dans le Parc de Sculpture. Pour l’œuvre Pierre, planches, ruisseaux à Lacelle, l’œuvre Trois petits patrimoines à Nedde ou encore La Clairière à Saint-Martin-Château, les expertises techniques locales sont également à l’origine de l’idée du projet et de sa réalisation. La remise en valeur du pont-planche à Lacelle, caractéristique du patrimoine vernaculaire rural en Limousin repose sur les savoir-faire locaux et l’œuvre de l’Amicale Mille Feux contribue à les réactiver. Le chantier de La Clairière a constitué un véritable moment de partage de savoir-faire technique entre artistes et habitants. Ce projet prend place sur une portion d’un sentier de découverte dans la vallée de la Maulde à l’initiative de l’association Eclats de Rives créée en 1994. C’est la rencontre entre cette association et l’atelier Bivouac qui donne naissance au projet La Clairière. Comme le rappelle Hélène Laigneau membre fondatrice de l’association : « Les architectes de Bivouac ont été très intéressés par le sentier de découverte de la vallée de la Maulde, qui avait été créé dans les années 2000 par l’association Éclats de Rives, un peu le même travail que les gens de Lacelle, qui ont réouvert des sentiers et qui continuent à l’entretenir ». L’intérêt pour le collectif de paysagistes, c’est de valoriser les pratiques d’entretien de l’association qui y voit déjà une démarche de création située bien qu’Hélène Laigneau s’en défende : « Notre idée, c’est plus de mettre en valeur ce qui existe, de faire découvrir le lieu, de mettre des gens en relation, mais ce n’est pas du tout de faire des créations artistiques. D’abord, ça s’est trouvé que celle qui a été proposée a été bien acceptée, mais voilà… ce n’est pas du tout notre but ». L’atelier Bivouac s’intéresse aux chantiers collectifs animés par l’association Eclat de Rives qui contribuent à maintenir ouvert des chemins ruraux et à entretenir le petit patrimoine vernaculaire qui les ponctue. Le chantier est envisagé par l’association comme un temps d’animation sociale mais également comme un moment d’apprentissage et de transmission de savoirs techniques, de lutte contre la disparition de savoir-faire spécifiques liés aux pratiques rurales traditionnelles. Ce savoir-faire qui passe par l’action108, cet enseignement de la main109 est au cœur du projet proposé par l’Atelier Bivouac pour la première édition de Vassivière Utopia en 2018. En s’intéressant à une clairière aux abords d’une petite mare artificielle sur le chemin de découverte de la vallée de Maulde, l’Atelier Bivouac inscrit sa création dans les dynamiques d’entretien pratiquées par l’association [Fig.IV.12.]. Il contribue aux activités visant à maintenir cet espace ouvert en délimitant les contours de la clairière, en la marquant par la construction de lisières à la fois naturelles et construites. Le temps de la fabrication, calquée sur les chantiers de restauration organisés par l’association Eclats de Rives, est également envisagé comme un temps d’échange de savoir pratique : si les paysagistes ont appris des habitants, Hélène Laigneau témoigne également des nouvelles techniques transmises par les paysagistes telles que la construction de fascines à partir des branches et troncs issus de l’élagage : « Donc on voit que des piquets ont été utilisés et le reste des matériaux, autant que je sache, ça a été tout récupéré sur place, puisqu’ils ont coupé beaucoup d’arbres. Là, ils ont utilisé les compétences des habitants, parce que beaucoup font du bois, donc ils sont habitués à débiter du bois, à couper, à tronçonner, etc. Ça s’est fait un peu comme se font habituellement nos chantiers, c’est-à-dire chacun fait suivant ses compétences, puis on se partage en plusieurs groupes. »
Faire du chantier un temps de création pousse à l’ancrer dans un champ de savoir-faire localisé. Cette position contribue à mettre en lumière combien la technique naît d’un entrelacement entre des matériaux disponibles sur un territoire et des savoir-faire acquis par l’expérience, via la confrontation régulière avec la matière110. Nous avons vu combien les œuvres de création située reposent sur des entreprises locales ayant une connaissance fine du contexte spatial et des ressources disponibles. Cette économie territoriale du projet semble un élément fondamental à la réussite de la création située. Lorsque l’articulation entre le territoire, des ressources et des savoir-faire ne se fait pas, l’ancrage de l’œuvre est fragilisé. C’est ce qui s’est passé pour l’œuvre Erosion, réalisée sur la commune de Saint-Amand-Le-Petit dans le cadre de l’édition 2020 du programme Vassivière Utopia par Nina Chalot et Forall Studio. L’œuvre issue du chantier participatif auquel ont pris part de nombreux·ses habitant·es de la commune ainsi que des étudiant·es de l’ENSA de Limoges se présente sous la forme de trois totems de terre crue installés dans un champ, soumis au temps et aux aléas climatiques [Fig.IV.18.]. Marianne Lanavère témoigne de cette équilibre fragile à trouver entre les ressources du territoire et leur mise en oeuvre grâce à un savoir-faire local : « On a eu un petit débat sur une équipe qui avait proposé 3 projets de sculptures en terre crue… pardon, 3 sculptures en terre crue dans le cadre de leur projet et il y a eu pas mal de questions sur cette technique autour de la terre crue dans un territoire qui est plutôt un territoire de pierre, très minéral. Du coup, il n’y avait pas vraiment de ressources à proximité telles que des filières d’argile. Il y avait quand même une sorte de déconnexion entre ce projet et, finalement, le territoire de Vassivière. En même temps, c’était quand même intéressant d’avoir ce type de projet ici. La terre crue, il y a aussi un renouveau autour de cette matière en termes écologiques, en termes d’isolation acoustique et thermique… du coup, c’était aussi intéressant pour nous d’avoir un projet un peu différent, moins sur des techniques autour du bois ou autour de la pierre. Finalement, je pense avec une insistance du centre d’art, cette équipe a été sélectionnée, mais il s’est avéré que ce projet n’a pas marché. (rires) 2 des 3 totems en terre crue se sont effondrés avant l’inauguration. Du coup, je pense que ça pose quand même question sur… Finalement, c’était peut-être un projet un peu hors-sol, qui était peut-être un peu éloigné du contexte local et en même temps qui était assez séducteur. C’était aussi un projet un peu expérimental et dans Vassivière Utopia, il y a quand même cette part d’utopie et peut-être que ce projet représentait cette part un peu utopique expérimentale de Vassivière ». Si l’ambition du projet est de valoriser l’exploitation de la terre comme matériau de construction, de montrer son évolution dans le temps, elle repose sur un matériau (la terre crue) et des savoir-faire en termes de manipulation exogène au territoire. Toutefois, les concepteurs ont su faire du chantier participatif un temps d’apprentissage associant aux habitant·es et étudiant·es, les savoir-faire techniques de l’exploitant de la carrière ROCA située à Saint-Julien-le-Petit mais également de l’entreprise Rairies Montrieux située dans le Val de Loire et spécialiste dans la production de matériel de construction à partir de la terre crue de l’Anjou. La faible résistance des œuvres dans le temps s’explique peut-être par la méconnaissance des conditions climatiques locales mais également par le phénomène exceptionnel de la tempête Alex survenue au cours de l’automne 2020. On voit donc combien la dimension expérimentale de la création située au cours du chantier de conception est conditionnée à l’identification et la mobilisation de savoir-faire techniques ancrés territorialement.

L’entretien comme processus de création située : protocole de gestion et oeuvres à protocole

Nous voyons que les œuvres de création située mobilisent le territoire non seulement comme site mais également comme matière première. L’environnement dans sa matérialité est la ressource principale de l’œuvre. Ces créations installées en extérieur sont en prise avec les conditions climatiques et météorologiques. L’œuvre peut donc être affectée voire modifiée au fil du temps. Si la création inclut des matières naturelles biotiques et abiotiques, si elle mobilise de la terre, de l’eau ou du végétal, l’œuvre est donc affectée par les différents cycles du vivant et ne conservera pas toujours la forme qui lui a été donnée par l’artiste. Ainsi, dans une logique de conservation de l’œuvre, son entretien et sa maintenance constituent un facteur important de la pérennité de la création. Le processus de création située ne s’arrête pas à la livraison de l’œuvre : il se poursuit dans le temps. Cette conception de l’œuvre dans le temps long est au cœur des dispositifs de création située. Dans le cadre de Vassivière Utopia un protocole de gestion est systématiquement demandé par le CIAPV à chaque artiste. Il s’agit d’un document dans lequel les artistes donnent les grandes orientations pour faire perdurer leur œuvre dans le temps. Le fait d’imposer ce document traduit la nécessité pour le CIAPV d’anticiper, dès la conception, les enjeux de gestion. Les œuvres de Vassivière Utopia sont disséminées dans les communes rurales autour du lac. Dans ces paysages à dominante naturelle et agricole, l’entretien des œuvres consiste surtout à maintenir leur visibilité et leur accessibilité au public. C’est le travail auquel s’attèle le Relais infos services (RIS), chantier d’insertion accueillant une quinzaine de salariés éloignés du travail qui est mandaté par le CIAPV pour assurer l’entretien des œuvres111. Le RIS intervient essentiellement en milieu naturel et il a développé une expertise en termes d’entretien forestier. L’objectif est de parvenir à trouver un équilibre entre volonté de maintenir l’œuvre en l’état tout en ayant le moins d’impact possible sur l’environnement. L’entretien consiste alors parfois essentiellement à se faire oublier. C’est le paradoxe auquel sont confrontés les gestionnaires d’espaces verts de manière générale : un travail bien fait est souvent un travail qui ne se voit pas112.
Certaines œuvres se sont saisies de cette question de la gestion et l’ont intégrée comme un paramètre de la création. Moment 03 réalisé par l’atelier Gama+Biachimajer à Quenouille en 2019 se présente comme une sculpture circulaire en tiges d’acier semi-enterré sur un déblai créé à la lisière d’un boisement à la sortie du hameau, le long d’un chemin forestier [Fig.IV.17.]. Cette position de lisière constitue en soi un paysage instable en constante évolution. En effet, le front de fougères aigle (Pteridium aquilinum) qui profite des sols dégagés tout en étant protégés par les boisements est susceptible d’avancer rapidement. Cette dynamique paysagère est prise en compte par les artistes qui accompagnent leur œuvre d’un protocole strict, non pas de maintien de l’ouverture de la lisière (en intervenant à chaque saison pour rabattre les fougères et désherber le centre du cercle) mais d’observation. La régisseuse du CIAPV témoigne : « Au début, ils nous ont demandé de ne rien faire, mais de mettre en place un système d’observatoire de l’œuvre, c’est-à-dire de prendre des photos une fois par mois, avec deux endroits pour prendre la photo. Comme ça, ça n’a l’air de rien de prendre 2 photos une fois par mois. En fait, c’est intenable, on n’a jamais réussi à le faire. C’est juste pour vous dire à quel point tenir un entretien des œuvres en extérieur, qui sont, de plus, pas du tout sur le lieu où on travaille, ça devient tout de suite très compliqué […] Après, ils ont demandé que ça évolue, mais pas trop. Du coup, maintenant, on enlève les fougères du contour de l’assise et on laisse la végétation qui reprend dans le creux. Et je voulais juste vous montrer une photo d’un spectacle qui a eu lieu dedans cet été, pour lequel on a enlevé plus que ce qu’ils nous ont demandé de faire, parce qu’il fallait qu’on puisse faire tenir les assises » (Carine Ravaud - régisseuse CIAPV). Au-delà des difficultés techniques, on voit combien l’arbitrage entre la maîtrise des dynamiques biologiques de l’environnement naturel et le respect de l’œuvre est un équilibre difficile à trouver et qu’il est partagé entre les concepteur·trices et les gestionnaires.
L’accessibilité corrélée au niveau d’entretien des œuvres en milieu naturel constitue un vecteur de valorisation de l’œuvre. Après plusieurs années, certains artistes se sont plaint auprès du CIAPV du manque d’entretien de leurs œuvres, c’est-à-dire de leur disparition progressive dans le paysage. Certains ont alors demandé à ce que la signalétique indiquant l’accès aux œuvres soit retirée, accélérant ainsi le processus conduisant l’œuvre à se fondre petit à petit dans son environnement. Pour certaines œuvres du programme Vassivière Utopia, la suppression de la signalétique indiquant le lieu où trouver l’œuvre et sa place dans la programmation culturelle du CIAPV conduit inévitablement à sa disparition. La dimension performative du cartel113 est poussée à son paroxysme pour ce qui concerne la création située. C’est le cas des œuvres réalisées à Lacelle, à Beaumont-du-lac ou à Saint-Martin-Château qui contribuent à maintenir des chemins de randonnée et qui peuvent disparaître sans remettre en question ni le tracé ni l’usage du chemin de randonnée. C’est le cas également de l’œuvre Un jardin dans la forêt réalisée par le collectif Espaces Verts située à Masgrangeas dans les bois au bord du lac dont le principe repose précisément sur l’entretien méthodique d’un sous-bois [Fig.IV.16.].

En effet, certains concepteurs se sont saisis de cet enjeu d’entretien et en ont fait le moteur de leur création située. C’est le cas des œuvres à protocole que l’on peut définir comme des créations « dont la matérialité n’apparaît que le temps de leur exposition, et dont les matériaux sont renouvelés à chaque présentation »114. Il s’agit d’oeuvres qui remettent en question la valeur autographique de la création115 puisqu’elles sont accompagnées d’un protocole livré par l’artiste qui peut décider de la réactiver ou de la faire réactiver par d’autres que lui à loisir116 et quel que soit le contexte117. A priori donc, les œuvres à protocole semblent être l’inverse d’œuvres situées : pas d’ancrage nécessaire, pas de site non plus puisque c’est le protocole qui dicte la forme de l’œuvre. Une œuvre à protocole peut être réactivée quel que soit le lieu. L’œuvre Un jardin dans la forêt incarne parfaitement ce principe de création dont la méthodologie d’action repose à la fois sur une décorrélation totale du site, tout en reposant pourtant sur une attention forte à l’espace investi par l’œuvre. Les Espaces Verts est le duo formé par Juliette Duchange et Marion Ponsard à l’origine de cette création. Ce duo de conceptrices formées à l’école de paysage de Lille envisage la pratique de l’entretien, du rangement et du nettoyage comme des activités productives contribuant à façonner l’espace. Fortement inspirées du mode de création des jardins par le jardinage118, des théories du paysage qui voient dans les formes du territoire une traduction des pratiques de ceux qui les habitent119, leur travail fait écho également au Sanitation Art de Mierle Ladermans Ukeles120 et à la reconnaissance du travail du care121 comme vecteur de maintien des conditions d’une vie sociale mais également d’habitabilité du monde122. Entretenir, maintenir, prendre soin, se présentent comme des alternatives à la production capitaliste de l’espace : plutôt que l’aménagement de l’espace, c’est son ménagement qui est envisagé, c’est-à-dire une manière de faire avec l’existant avant de produire ou de transformer123. Marion Ponsard commentant l’oeuvre proposée dans le cadre de l’édition 2019 du programme Vassivière Utopia exprime combien l’entretien constitue un vecteur d’appropriation et de création d’un espace à soi : « On a ouvert comme ça un espace en venant tailler le houx, en se faisant une entrée pour pouvoir accéder à cet espace, on a rangé le bois, balayé le sol de la forêt, enfin voilà… on s’est fabriqué un petit lieu à habiter » (Marion Ponsard). Le duo a développé plusieurs œuvres reposant sur le principe du nettoyage de l’environnement. En 2017 dans le cadre du festival des Hortillonnages124 ou encore en 2019 à Bruxelles pour le musée bruxellois des industries et du travail La Fonderie125, leurs propositions créatives consistent systématiquement à développer un protocole de nettoyage méthodique d’un site de projet généralement de taille modeste : il s’agit tout d’abord de délimiter strictement l’espace du projet. A la manière d’un site de fouille archéologique, l’espace est quadrillé afin d’avoir une lecture fine du site d’action et de faire l’inventaire de l’existant. L’espace est alors nettoyé afin de dégager le sol et permettre l’accessibilité. Puis les matériaux sont stockés pour être ensuite classés et rangés. Les végétaux sont taillés dans le but d’être rendus visibles. Ce protocole strict, reproductible à l’infini quel que soit le site de projet ne conduit pas pour autant à une œuvre déterritorialisée. Au contraire, le protocole d’entretien agit comme un vecteur de révélation du site, comme un moyen de rendre visible et de donner à voir un espace. L’entretien oblige à une attention minutieuse, confinant à l’absurde, de chaque menu détail de l’espace de création.
Ce protocole de création qui se situe entre la performance et le land art a amené le duo de conceptrices à redéfinir les cadres proposés par les programmations de résidences de création située. Au sujet de l’appel à candidatures pour Vassivière Utopia, Marion Ponsard explique : « Dès le début du projet, on avait proposé que l’essentiel du budget soit dédié à l’entretien, parce que ce sont quand même des projets qui ne coûtent rien. Là, on avait 10 000 €, donc on a dit : “Ben en fait, on va consacrer l’essentiel de ce budget à nous faire revenir et à se payer pour revenir” . Pendant le temps du festival, qui dure de juin à octobre, on est revenues deux fois ensemble pour entretenir le lieu et en fait, ça a constitué des moments où aussi les visiteurs du festival, ils nous voyaient à l’œuvre et ils nous voyaient balayer le sol, aligner les bûches, ranger les écorces et ça donnait du sens, déjà, à l’installation, et puis ça donnait plein de discussions trop chouettes autour des jardins de chacun, qui nous disait : “Ah, si vous saviez le mal que j’ai à entretenir…”, c’était très chouette. C’était en 2017 qu’on a fait cette installation, qui s’appelait À Raymond Goût et à la suite, l’association qui organise le festival Art, villes & paysage nous a demandé de revenir chaque année, pendant 2 ans, pour de nouveau ranger, de nouveau installer l’œuvre et pareil, en débloquant du budget pour nous faire revenir. Il y a quand même cette question de budget. Ça nous faisait, comme ça, des rendez-vous avec les hortillonnages. On savait que début juin, on allait revenir passer une semaine retrouver les personnes avec qui on allait travailler, retrouver ce lieu, voir, pareil, ce qui avait bougé, ce qui était resté ». En mettant au cœur de la production créative la démarche d’entretien de l’œuvre, les conceptrices transforment le budget de production en budget d’entretien. Affirmant ainsi que l’œuvre en tant que telle « ne coûte rien » c’est son entretien qui, lui, demande à être financé. Cette approche traduit bien la volonté d’ancrage de l’œuvre à la fois dans un territoire et dans le temps : les conceptrices qui préfèrent entretenir un espace plutôt que proposer une construction s’attachent au lieu et s’obligent ainsi à revenir au fil du temps. Toutefois, si elles ont su utiliser le budget qui leur était alloué dans le cadre du programme Vassivière Utopia pour pouvoir financer la fréquence de leur passage pour entretenir le projet, ce processus a échoué à s’inscrire dans le temps long. En effet, en dépit du protocole d’entretien qu’elles ont livré, la transmission avec le gestionnaire mandaté par le Syndicat du lac de Vassivière a échoué, comme Marion Ponsard l’explique : « En fait, c’est assez délicat de… enfin, André, il est venu jardiner quelques jours avec nous. C’était très sympa, mais en fait, ça demande quand même plus de temps que ça de transmettre cette passion d’entretien… ça demande un certain engagement. Il faut prendre le temps de le faire. Dans son boulot de “J’entretiens le sentier de rives”, j’imagine que ce n’est pas sa priorité d’aller ramasser les bouts de bois qui sont dans le jardin… et ce n’est pas grave, c’était une tentative ». L’œuvre reposant sur les gestes d’entretien qui disparaissent systématiquement avec le temps, les conceptrices ont cherché à faire un travail de pédagogie : sur le temps du festival, elles ont voulu impliquer les acteurs locaux, elles ont organisé des chantiers collectifs de nettoyage. Elles ont également déployé des outils de communication : « Il y a aussi cette lettre aux promeneurs qu’on a écrite et qui est sur le panneau de présentation du projet à l’entrée du jardin et qui, pareil, raconte brièvement l’histoire de cet espace-là et qui invite aussi les personnes qui passent à prendre leur place dans ce jardin et à ramasser le bois et à tailler le houx, s’ils en ont envie. On avait laissé des outils derrière le panneau, mais évidemment, ils n’y sont plus et ce n’est pas grave, c’était une tentative un peu anecdotique, comme ça » (Marion Ponsard). Si l’on voit combien la création située offre les cadres pour réinterroger la distinction entre production et gestion de l’œuvre, on voit également que l’ancrage spatial n’est pas suffisant pour assurer la pérennité de l’œuvre dans le temps. La dimension sociale de la programmation, de la production mais également de la réception de l’œuvre doit être envisagée simultanément.

Le spectateur-usager acteur de la création située

Le contexte dans lequel sont installées les œuvres de création située conduit à envisager les spectateurs-usagers comme des acteurs de leur entretien. Contrairement aux œuvres d’art dont la fréquentation contribue à l’usure, la visibilité et la pérennité des œuvres situées dans l’espace public et dans des environnements naturels reposent sur le fait qu’elles soient pratiquées. On retrouve ce principe dans les forêts gérées par l’Office national des forêts (ONF) où la fréquentation conditionne l’accès à certains espaces : la canalisation et l’encadrement des promeneur·ses constituent un enjeu important pour les gestionnaires. L’Amicale Mille Feux dont l’œuvre a contribué à rouvrir un accès au ruisseau de la Celle, rappelle cette pratique vernaculaire ordinaire [Fig.IV.19.] : « Il y avait aussi une dame qui nous avait dit – un peu comme ma grand-mère fait ou vos grand-mères aussi – qui, en passant… enfin c’est assez important quand on passe dans un chemin, souvent on a le réflexe de… on ébranche un peu les noisetiers et ça, ça participe d’un entretien aussi… qui n’est pas non plus de passer avec une épareuse ou un rotofil » (Julien - Amicale Mille Feux). Le RIS rappelle ce principe élémentaire de la gestion des espaces en milieu rural : « Si on prend les chemins de randonnée, il y a des chemins de randonnée parce qu’il y a des associations de randonneurs qui les entretiennent, sinon il n’y a plus de chemins de randonnée. Peut-être que là où ça fonctionne, c’est vraiment quand il y a une appropriation parfaite des habitants, qui eux-mêmes vont devenir l’œuvre et le territoire, et donc l’entretenir. Elle fait partie de leur vie. Si c’est juste un projet hors sol, forcément, il faut qu’il y ait des gens hors sol pour l’entretenir. Mais je crois que c’est aussi bien le cas pour une œuvre que pour un banc mal placé » (Mathieu Tiquet - RIS). Pour les concepteurs d’œuvre située, l’usage de leur création est envisagé comme une partie de l’œuvre qui va évoluer au gré du temps mais également au gré du passage des spectateurs.

3. Hybridation entre oeuvre artistique et aménagement

Révéler, montrer, mettre en scène le déjà-là

Le moteur de la création située semble souvent être d’utiliser l’art comme révélateur du territoire. Il s’agit moins de créer des formes ou des espaces nouveaux que de partir de l’existant pour lui donner une valeur renouvelée. Si les œuvres de land art ont contribué à magnifier, scénariser ou esthétiser le paysage, les œuvres de création située s’inscrivent plus volontiers à l’échelle des paysages du quotidien et du cadre de vie ordinaire. L’ambition de révélation vise souvent à attirer l’attention sur des qualités non exceptionnelles du territoire pouvant donc passer inaperçues. Certaines œuvres proposent ainsi des dispositifs visant à mettre en scène le paysage au travers de l’aménagement de points de vue. Dans les cas des œuvres de Vassivière Utopia, La Plateforme réalisée à Eymoutiers en 2018 ou bien Moment 03 réalisée à Quenouille en 2019, sont des œuvres permettant de révéler et donner à voir des situations paysagères particulières. Dans les deux cas, les œuvres sont installées dans des environnements ordinaires : La Plateforme est installée sur une parcelle municipale dans un quartier des faubourgs d’Eymoutiers [Fig.IV.13.]. Moment 03 se situe à la sortie du hameau, le long d’un chemin de randonnée [Fig.IV.17.]. Leur présence vise à affirmer la qualité de cette situation : Moment 03 est formée d’une vaste assise circulaire permettant de profiter de l’ombre et de la fraîcheur de la lisière tout en ouvrant sur le paysage de la vallée du ruisseau des Moulins. La Plateforme quant à elle réinterprète le belvédère une figure classique du vocabulaire de l’art des jardins et du paysage : installée sur le versant sud de la vallée de la Vienne, faisant face à la vieille ville d’Eymoutiers, le banc circulaire enchâssé dans la pente matérialise un point d’observation panoramique sur la ville et sur la vallée [Fig.IV.13.]. Ces œuvres mobilisent le site comme une ressource paysagère à laquelle elles donnent accès : depuis ces espaces créés, un point de vue est aménagé sur le paysage alentour.
D’autres œuvres constituent des vecteurs de révélation cinétique du paysage. Il ne s’agit plus seulement de donner à voir un point de vue mais plutôt de ponctuer ou former un parcours et de mettre en scène une succession de points de vue, de cadrages ou de de situations qui prennent sens dans leur enchaînement les uns avec les autres. Si la plupart des oeuvres de Vassivière Utopia sont présentées dans le dépliant du programme comme faisant partie d’un parcours pédestre au côté d’éléments patrimoniaux notoires126, trois d’entre elles mobilisent de manière centrale la déambulation comme mode d’expression artistique : La Clairière à Saint Martin Château, Voir l’eau du lac à Beaumont-du-Lac réalisée lors de l’édition 2018 et Pierre, planches, ruisseaux à Lacelle lors de l’édition 2020. A Beaumont-du-Lac, l’ambition de l’œuvre d’Ejo.coopérative est de profiter de la programmation artistique pour créer un lien physique entre le village de Beaumont et le lac. Les œuvres disséminées le long d’un parcours pédestre partant du village jusqu’aux rives du lac jouent le rôle de balises orientant les promeneurs. De loin en loin, les œuvres installées à un carrefour, dans un arbre sur une butte constituent des repères guidant progressivement le chemin jusqu’à la vue sur le lac. La bouée conique suspendue aux branches d’un arbre isolé constitue à la fois un repère indiquant le passage du chemin mais indique également un point de vue sur le lac depuis un point culminant [Fig.IV.14.]. Pour La Clairière, le projet s’inscrit dans une démarche de valorisation du territoire pris en charge par l’association Eclats de Rive. Il s’agit moins de révéler les paysages de la Maulde ou la qualité des chemins ruraux et du patrimoine vernaculaire rural que de valoriser le travail de l’association dans sa capacité lutter contre la fermeture et la disparition des paysages et sa capacité à les maintenir et les entretenir [Fig.IV.12.].

La création située au service d’un problème d’aménagement

On voit avec l’exemple de l’œuvre réalisée à Saint-Martin-Château que la création située emprunte des cadres d’action à l’aménagement du territoire. Avec le programme Vassivière Utopia, si l’ambition est de sortir l’art contemporain du musée, la volonté est également de décloisonner les champs de la programmation artistique et de l’aménagement du territoire. Ce positionnement est affirmé dès l’appel à candidature lancé par le CIAPV qui s’adresse directement à des concepteur·trices issus du champ de l’architecture et du paysage127. Les conditions d’éligibilité imposent la présence d’au moins un·e architecte ou paysagiste DPLG ou DE/DEP128 dans les équipes pluridisciplinaires, ce qui oblige les artistes qui souhaitent postuler à s’associer avec un concepteur129. Cette orientation constitue pour le CIAPV un vecteur de dialogue avec les communes alentour. Marianne Lanavère explique comment l’aménagement sert de levier pour faire entrer l’art contemporain dans les territoires : « Et puis faire aussi une place dans l’aménagement du territoire, dans les politiques d’aménagement, à des créations un petit peu radicales, en apportant, en fait, les financements à ces communes… d’oser, qu’elles prennent des risques sur ce terrain-là… au lieu de commander du mobilier dans des catalogues d’aménagement, des bancs, des tables, etc., les pousser à faire autre chose… de manière moins formatée, en les amenant dans des formes de radicalité, avec cette croyance que c’est aussi une histoire de l’art, de l’art social, de la sculpture sociale qui nous portait à cet endroit-là. On avait aussi des élus déjà assez ouverts, mais qui nous disaient toujours : “On n’a pas d’argent. On est des toutes petites communes sans moyens” […] ». La proposition faite par le CIAPV aux communes est la suivante : il finance des projets d’aménagement portés par les communes dans la mesure où celles-ci acceptent les conditions de production et de réalisation du CIAPV, c’est-à-dire que ce soit des œuvres artistiques. Pour Marianne Lanavère on voit que l’art, et spécifiquement ici la création située, est un levier de transformation matérielle des territoires et des paysages, un moyen également de repolitiser les choix d’aménagement faits dans ces communes rurales en les ré-ancrant dans une logique territoriale. Les œuvres sont uniques et ne peuvent répondre qu’à la situation singulière des communes participantes.
Certaines œuvres constituent ainsi une véritable réponse à un problème d’aménagement. Nous avons vu que le cadre de la résidence de création conditionnait la formulation d’un projet à la rencontre des concepteur·trices avec les acteurs du territoire et notamment une des communes partenaires. La responsable de la programmation de Vassivière Utopia explique combien l’implication des communes dans le programme a conduit à orienter les oeuvres dans le sens d’une utilité sociale, répondant à des enjeux d’aménagement formulés parfois de manière très explicite par la commune : « Ce qui est important, c’est qu’une fois que les équipes ont été sélectionnées, il y avait toujours un premier rendez-vous avec les communes, avec les mairies, qui était vraiment un moment très important, où chacun présentait un peu son “territoire”, c’est-à-dire la mairie un peu la commune, ce qui s’y passait, quels étaient les lieux un peu intéressants, et puis les équipes aussi, un peu leur intention, ce qu’elles imaginaient, ce qu’elles avaient un peu projeté. Mais très vite, moi, j’ai constaté qu’il y avait déjà des hypothèses de travail qui se mettaient en place dès la première réunion et parfois même des lieux qui étaient pratiquement déjà imposés dès le premier rendez-vous par la commune, avec des envies assez concrètes. Là, je pense notamment à la commune de Nedde avec l’Atelier du sillon, où tout de suite après la première réunion avec la mairie, on a fait le tour de la commune et puis un conseiller municipal nous a dit : “Ben voilà, le lavoir, il n’est pas en très bon état, ce serait bien que l’équipe le restaure” Mais l’équipe a quand même pris en compte cette demande et effectivement, dans leur projet, ils ont intégré une valorisation du lavoir à travers un chantier participatif qu’elle a mis en place avec des habitants, des personnes extérieures, des anciens créateurs de Vassivière Utopia qui ont même participé à ce projet » (Lucie You). Les communes rurales de la région sont marquées par un patrimoine architectural vernaculaire souvent ancien qui nécessite des moyens d’entretien importants. On voit bien au travers de l’exemple de la commune de Nedde que les concepteurs de l’atelier du Sillon sont considérés comme une maîtrise d’oeuvre mobilisée pour un chantier de valorisation patrimonial : en effet l’oeuvre Trois petits patrimoines consiste en trois interventions sur des éléments architecturaux liés à l’eau sur la commune [Fig.IV.20.]. L’objectif est à la fois de les révéler lorsqu’ils étaient en train de disparaître, de les restaurer et de leur redonner une place comme mobilier vernaculaire de l’espace public et dans le paysage du village.

Des problématiques paysagères moteurs de création située

Le travail de révélation qui peut répondre à une demande opportuniste de la part d’une collectivité territoriale peut également être le fruit d’une lecture du territoire proposée par les concepteur·trices. Comme dans un projet de paysage130, l’étape initiale d’immersion et de compréhension du territoire est importante pour la création située. L’imprégnation du territoire comme moteur du projet est à la base de la méthode « abductive » qui vise à trouver les réponses aux enjeux du site à partir de la compréhension des caractéristiques de celui-ci131. La démarche mise en oeuvre par l’Amicale Mille Feux est très proche du travail de conception en paysage et plus généralement dans le champ de l’aménagement : après avoir posé un diagnostic spatial, les concepteur·trices formulent des enjeux auxquels ils répondent en trouvant dans le territoire lui-même les ressources offrant une solution aux problèmes identifiés : « […] on partait du postulat que le village était traversé par la départementale. En fait, c’est le seul endroit de balade proche du bourg, enfin qui traverse le bourg, mais c’est assez désagréable, parce que c’est traversé… les voitures ne s’arrêtent pas, c’est assez pénible, alors qu’il y a cette rivière. La plupart des sentiers n’étaient plus utilisés ou abandonnés. Ils n’étaient pas rouverts. On se disait : “[…] Il faut remettre la rivière et ces sentiers au cœur du bourg.” C’est là qu’est apparue l’histoire de la pierre-planche qui avait disparu, qui permettait de traverser la rivière à un endroit. C’est petit à petit que se sont esquissés le fait de ponctuer le sentier, ou de rouvrir des chemins communaux, d’autres projets que celui… À la base, initialement, on voulait juste retailler et reposer une pierre-planche » (Amicale Mille Feux). L’Amicale Mille Feux identifie une problématique spatiale à partir de son arpentage de la commune et de son observation des pratiques. L’analyse construite est déjà « inventive »132 dans la mesure où le collectif fait le lien entre deux éléments qui ne sont pas ou plus associés. Il découvre que l’absence de continuité piétonne dans la commune est la conséquence de l’abandon de la gestion des chemins communaux au profit des routes carrossables et notamment, la disparition d’un point de passage au-dessus de la rivière qui permettait de relier Lacelle aux hameaux alentour sans passer par la route départementale. La réponse à cette problématique de mobilité piétonne devient alors un enjeu paysager : réactiver les chemins communaux c’est également ici, redonner au ruisseau de la Celle un rôle structurant dans la vie locale [Fig.IV.19.]. « Tous les hameaux au nord de Lacelle passaient par la rivière pour rejoindre les commerces du bourg. Les hameaux ne sont pas tous habités aujourd’hui, mais il y a pas mal de gens qui s’installent dans le village de plus en plus là et ça servira… cette pierre, elle va être traversée au-delà des balades » (Amicale Mille Feux). Il s’agit alors d’un véritable travail de révélation du « déjà là »133 en réouvrant le chemin, reconstruisant le pont-planche, en dégageant les vues.
Ces actions sont guidées tout à la fois par la compréhension du site mais également par ce que les habitants leur en disent. « Parce qu’en parallèle, on avait lancé un appel à souvenirs dans le bulletin municipal, qui est distribué à tout le monde, et on se disait : “Peut-être qu’on peut partir déjà, en attendant… enfin, on fait des recherches et on essaie de voir le… toute la zone autour de la rivière, on essaie de la voir avec des lunettes différentes, mais en attendant, recueillons le plus de souvenirs possibles, de photographies, de cartes postales, même de rumeurs ou de mythes”. Et il y en a eu beaucoup. La 2e semaine, on a travaillé avec des cartes, des plans cadastraux et des calques. À chaque visite, on relevait des notes, on re-créait des… enfin, on a trouvé des manières… on avait tous une ardoise avec du carton… on a essayé de trouver des manières de restituer ou de rendre compte de ce qu’on nous apprenait » (Amicale Mille Feux). C’est l’expertise d’usage134 des Lacellois qui permet de légitimer la création située en l’ancrant dans la réalité des pratiques quotidiennes et dans l’histoire du lieu. « Il y a des gens qui n’y étaient pas allés depuis 50 ans. Il y a des gens qui n’avaient jamais vu la tour EDF, parce qu’on avait juste ébranché un arbre qui était autour et créé un endroit pour y accéder, en fait. Les gens qui se baladent… enfin, qui ont le prétexte d’avoir un animal de compagnie pour se balader, enfin qui baladent leur chien, […] découvraient le chantier en voyant qu’il y avait un chemin qui s’ouvrait petit à petit. Du coup, on avait des retours en direct sur ce qu’on faisait ou des avis […] Il y en a d’autres qui nous racontaient que l’ouverture du chemin communal, c’était comme une joie, parce que quand ils étaient adolescents, ils l’empruntaient en mobylette et depuis, ils ne pouvaient même plus l’emprunter tout court » (Amicale Mille Feux). Le travail de révélation consiste à réactiver des lieux mais également des pratiques oubliées.
Cette réponse à une problématique locale peut également conduire à une proposition non située. C’est le cas de La Fauvette réalisée lors de l’édition 2019 à Faux-la-Montagne. Le village est marqué par une vie sociale très dynamique et les élus, associations et habitants se mobilisent auprès des concepteurs du Bureau Baroque pour formuler une demande : celle d’une structure mobile pouvant être déplacée au gré des événements festifs et culturels de la commune en se déployant alternativement comme estrade, gradins, bar, ou barnum [Fig.IV.15.]. Si l’œuvre peut s’installer n’importe où dans la commune et si, en dehors des événements où elle est utilisée, elle est remisée aux ateliers municipaux, son ancrage spatial reste tout de même étroitement associé à une demande sociale et à un mode de vie local.
L’ancrage socio-spatial des œuvres situées, le travail d’enquête en immersion des équipes de conception conduit à la production d’œuvres répondant à des enjeux locaux. Il y a chez les équipes de concepteurs une recherche d’utilité sociale de leur action qui passe par une connaissance du territoire de projet au travers des pratiques, du regard et des représentations de celles et ceux qui l’habitent.


  1. Voir l’exposition Vindi vindi vinci à Arc en rêve à l’automne 2014. ↩︎

  2. L’équipe était constituée de Didier Lechenne, Pierre Ponant, Camille de Singly, Hélène Soulier, Jean-Charles Zébo. ↩︎

  3. Voir Stop city Istanbul/Novi Sad/Warsaw, ebabx/ ensnapBx, 2018. ↩︎

  4. Camocini Barbara, Galuzzo Laura, De Singly Camille, Soulier Hélène, Zébo Jean-Charles, « A renewed educational format to experience the contemporary city », Dir (Acitores Suz Adela, Garcia Ramos Francisco José, Melendez Valoria Veronica, Innovacion docente para futuros disenadores, Ed. ESNE, 2018, pp. 180–190. ↩︎

  5. Voir Rurbanité Tonneins, workshop organisé par des architectes et des étudiants sur la réhabilitation du centre de la ville de Tonneins (2017) ↩︎

  6. Voir les différents festivals et manifestations artistiques de petites villes comme Quinsac, Soulac-sur-mer ou « Art et paysage » pour la ville d’Artigues qui ont eu lieu pendant quelques années, l’évènement « Supernaturel » au Haillan en 2016, ou encore la politique des Refuges urbains dans la métropole bordelaise, conçus par les collectifs Zebra3 et Le Bruit du frigo. ↩︎

  7. Voir les projets des Nouveaux Commanditaires (Fondation de France), faisant appel à des artistes, designers ou architectes pour intervenir dans des territoires souvent ruraux face à des besoins précis. ↩︎

  8. Bouchier Martine, « Territoires esthétiques » in Serge Dufoulon, Jacques Lolive (dir.), Esthétiques des espaces publics, Paris L’Harmattan, 2014. ↩︎

  9. Lipovetsky Gilles, Jean Serroy, L’esthétisation du monde. Vivre à l’âge du capitalisme artiste, Gallimard, Paris, 2013. ↩︎

  10. Bouchier Martine, op. cit. ↩︎

  11. Roger Alain, la théorie du paysage en France, 1974-1994, Paris, Seyssel, 1995. ↩︎

  12. Racine Michel, Créateurs de jardins et de paysages: en France de la Renaissance au XXIe siècle. Tome II, Du XIXe au XXIe siècle, Arles, Acte Sud, 2002. ↩︎

  13. Voir les écrits de Georges Bertrand, Augustin Berque, Yves Luginbühl, Alain Roger, Serge Briffaud, etc ↩︎

  14. Voir les textes de Michel Corajoud, Michel Desvigne, Bernard Lassus (Gilles Clément ne se définissant pas comme un paysagiste mais comme un jardinier). ↩︎

  15. Besse, Jean-Marc. « Le paysage, entre le politique et le vernaculaire. Réflexions à partir de John Brinckerhoff Jackson », no 6 (2003) : 9–27. ↩︎

  16. Marot, Sébastien. « L’alternative du paysage ». Le Visiteur, no 1 (1995). ↩︎

  17. Besse, Jean-Marc. La nécessité du paysage. Marseille : Parenthèses, 2018. ↩︎

  18. Blanchon Bernadette, « Les paysagiste français de 1945 à 1975 », Annales de la recherche urbaine, n°85, 1999, Boutinet Jean-Pierre, Anthologie du projet, Paris, PUF, 1992. Corajoud Michel, « Lettre ouverte aux étudiants », in Brisson Jean-Luc (dir.), Le jardinier, l’artiste, l’ingénieur, Besançon, Ed. De l’Imprimeur, 2000. Marot Sébastien, « L’alternative du paysage », *Le Visiteur, * n°1, 1995. Descombes Georges, « Le programme et le site », in Masbougi Arielle (dir.), Penser la ville par le paysage, Paris, La Villette, 2001, Cauquelin Anne, Le site et le paysage, PUF, Paris, 2002. ↩︎

  19. Marot Sébastien, « L’alternative du paysage », Le Visiteur, 1995. ↩︎

  20. Lassus Bernard, « L“inflexus ou l”inflexion du processus », in Poullaouec-Gonidec, Paquette Simon, Domon Gérald (dir.), Les temps du paysage, Presses Universitaires de Montréal, 2003. ↩︎

  21. Huet Bernard, « Une génétique urbaine », Urbanisme, n°303, 1998, Bouchain Patrick, *Construire autrement : comment faire ?, * Paris, Actes Sud, 2006 ; Loubes Jean-Pierre, Traité d’architecture sauvage, manifeste pour une architecture située, Paris, Sextant, 2010. ↩︎

  22. Kroll Lucien, Tout est paysage, Paris, Sens & Tonka, 2001. ↩︎

  23. Hallauer Edith, (dir. Thierry Paquot) Du vernaculaire à la déprise d’œuvre, architecture, urbanisme, design, Thèse de doctorat – Uni. Paris-Est, 2017. ↩︎

  24. Voir les pratiques des collectifs Bruit du frigo, Bazar urbain, Bellastock pour les architectes et Les Saprophytes, Friche and cheap, etc sur http:/www.collectifetc.com/liens/ ↩︎

  25. Rudofsky Bernard, Architecture sans architecte : brève introduction à l’architecture spontanée, Paris, Editions du Chêne, 1977. ↩︎

  26. Frey Pierre, Learning from Vernacular : pour une nouvelle architecture vernaculaire, Arles : Actes Sud, 2010. ↩︎

  27. Magnaghi Alberto, Le projet local, Liège, Ed. Mardaga, 2003. ↩︎

  28. Careri Francesco, Walkscapes, Barcelone, Gustavo Gili Ed., 2002. ↩︎

  29. http://www.cnap.fr/graphisme/graphisme14/index.html#1/-0/0 – Le compte-rendu de cette journée a été réalisé par les écoles des beaux-arts de Bordeaux et de Pau dans le cadre d’un workshop (du 13 au 17 octobre 2014) coordonné par les Presse Papier et Didier Lechenne. ↩︎

  30. La loi et ses conséquences visuelles, avec Sébastien Thierry, Pierre Legendre, André Vladimir Heiz…, éditions Lars Müller, 2005. ↩︎

  31. Vers un doctorat en architecture, coll. Ministère de la Culture et de la Communication, 2005. ↩︎

  32. Voir Art, architecture et Paysage, rapport-bilan sur les projets de recherche, MCC, 2005. ↩︎

  33. Voir le projet de Nathalie Blanc et de Julie Ramos, « Le paysage urbain à l“épreuve de l”art contemporain » ou celui de Daniel Le Couedic, « Penser, transcender le lieu ». ↩︎

  34. Findeli Alain et Coste Anne, « De la recherche-création à la recherche-projet : cadre théorique et méthodologique pour la recherche en architecture », Lieux communs, n°10, 2007. ↩︎

  35. Les Cahiers thématiques, Paysage versus Architecture : (in)distinction et (in)discipline, n°13, éd. ENSAPL, 2014. ↩︎

  36. Voir Boyadjian Anne, « Architecture et paysage : un tissage de l’espace, de la matière et du temps », Cahiers Thématiques, n°13, éd. ENSAPL, 2014, pp. 69–82 et Davodeau Hervé, Geisler Elise, Montembault David et Leconte Louise, « La participation par les architectes et les paysagistes : vers une hybridation des pratiques », Cahiers Thématiques, n°13, éd. ENSAPL, 2014, pp. 171–184. ↩︎

  37. Négrier Emmanuel, « Le paysage, territoire de l’art ? : La mise en oeuvre de Regards Croisés » . Regards croisés sur les paysages, projets d’artistes dans trois Parcs Naturels Régionaux en Rhône-Alpes, p.139–159, 2008. ↩︎

  38. Nous entendons par «création située, l’ensemble de productions artistiques et paysagistes qui sont générées par un questionnement à partir d’un lieu et dont la finalité ne peut avoir de sens que dans ce lieu, par opposition à des productions reproductibles et transportables. ↩︎

  39. Boutinet Jean-Pierre, « A propos du paysage, repères anthropologiques », Carnets du paysage, n°7, 2001 et Besse Jean-Marc, « Cartographier, construire, inventer : notes pour une épistémologie de la démarche de projet », Carnets du paysage, N°7, 2001. ↩︎

  40. Darbellay Frédéric (dir.), La circulation des savoirs. Interdisciplinarité, concepts nomades, analogies, métaphores, Berne, Peter Lang, 2012. ↩︎

  41. En 2018, l’Atelier Bivouac crée le projet La clairière à St-Martin-Château, l’Atelier 1 :1 le projet Plate-forme à Eymoutiers, Ejo Coopérative, le projet Voir l’eau du lac à Beaumont-du-Lac, en 2019, Gama+Bianchimajer, le projet Moment 03 à Quenouille, Les espaces verts le projet Un jardin dans la forêt à Masgrangeas, Bureau Baroque le projet La fauvette à Faux-la-Montagne, Nina Chalot + Forall Studio le projet Erosion à Saint-Amand-le-Petit, l’Atelier du sillon + Philippe Deubel le projet Trois petits patrimoines à Nedde, et l’Amicale Mille Feux + Ninon Bonzom le projet Pierres, planches, ruisseaux à Lacelle. ↩︎

  42. Les étudiants ayant participé à ce séminaire sont Manon Beneteau, Sophie Brocki, Margaux Brossier, Louise Moulinier, Roxane Ruvel, Natan Torres Rejas. ↩︎

  43. Les étudiants ayant participé au séminaire sont Arthur Cavero, Charlotte Donnenwirth, Isée Doutreloux, Faustine Ducros, Hugo Dufour, Duygu Durmaz, Ainhoa Elissalde, Coraline Ginet, Virgile Haëck, Corentin Hamelin, Andrea Heim, Clémentine Loubrieu, Bruno Pancrazi, Camille Pelletant, Auriane Roux, Maëlian Soulier. ↩︎

  44. Soulier Hélène, La friche urbaine : déchet ou ressource ?, doctorat sous la direction de Jean-Louis Cohen, Université de Paris 8, 2006. ↩︎

  45. Ramos Aurélien, Faire jardiner sans jardin : mécanismes et limites des dispositifs municipaux de jardinage tactique dans la rue, sous la direction de Martine Bouchier, Nanterre, 2021. ↩︎

  46. Quelques intervenants ont présenté des projets d’œuvre hors Nouvelle Aquitaine qui ne seront pas repris pour le présent texte. ↩︎

  47. La transcription écrite a été réalisée par Stéphanie Malabry, traductrice. ↩︎

  48. Voir Marot Sébastien, « L’alternative du paysage », Le Visiteur, n°1, automne 1995, pp. 54–81 et Corajoud Michel, Lettre ouverte aux étudiants, in Brisson Jean-Luc (dir.) Le jardinier, l’artiste et l’ingénieur, Besançon, Ed. de l’Imprimeur, 2000, pp. 37–51. ↩︎

  49. Voir les Cahiers thématiques, Paysage vs architecture : (in)disctinction et (in)discipline, n°13, ENSAPL, 2014. ↩︎

  50. Ardenne Paul, Un art contextuel : création artistique en milieu urbain, en situation, d’intervention, de participation, Paris, Ed. Flammarion, 2002, 254 p ↩︎

  51. Bourriaud Nicolas, L’esthétique relationnelle, Dijon, Presses du réel, 2001. ↩︎

  52. De Keyrangal Maylis, Naissance d’un pont, Paris, Ed. Verticales, 2010 ↩︎

  53. Rolin Jean, Zones, Paris, Gallimard, 2007. ↩︎

  54. Vasset Philippe, Un livre blanc, Paris, Fayard, 1997. ↩︎

  55. Schoentjes Pierre, Ce qui a lieu. Essai d’écopoétique, Marseille, Wildproject (Tête nue), 2015. ↩︎

  56. Poirier Sophie, Le signal, Inculte édition, 2022. ↩︎

  57. Corajoud Michel, op. cit. ↩︎

  58. Cette caractéristique de l’action paysagiste a contribué à renouveler les pratiques de production urbaine (voir sur le sujet Romeyer, Benoît, 2018, « Le paysagisme : Source et ressource pour l’urbanisme ? » Projets de paysage. Revue scientifique sur la conception et l’aménagement de l’espace, 18, Article 18. https://doi.org/10.4000/paysage.1131 et s’incarne dans le courant de l’« urbanisme de révélation » tel que le présente Françoise Fromonot (Fromonot, Françoise, 2011, « Manières de classer l’urbanisme », Criticat, 8, 40‑61. ↩︎

  59. Les friches sont des objets d’attention pluridisciplinaires depuis plus de vingt ans. D’abord photographiées par des artistes dans les années 1980, elles ont ensuite été observées dans les champs de l’urbanisme, de l’architecture et du paysage. Cet engouement n’a pas cessé. Voir Soulier Hélène, La friche urbaine : déchet ou ressource, doctorat, Paris 8, 2006. ↩︎

  60. Bourriaud Nicolas, op. cit. ↩︎

  61. Poirier Sophie, op. cit. ↩︎

  62. Rancière Jacques, Le spectateur émancipé, Paris, La Fabrique, 2009, p. 27. ↩︎

  63. Voir le « ça a été » que développe Roland Barthes dont la fonction est d’attester par la photographie que la situation a bel et bien existé, Barthes Roland, La chambre claire. Note sur la photographie, Paris, Gallimard, 1980. ↩︎

  64. Loi n°2015–991 du 7 août 2015 portant sur la nouvelle organisation territoriale de la République. Celle-ci confie de nouvelles compétences aux régions et redéfinit les compétences attribuées à chaque collectivité territoriale. ↩︎

  65. « Un jardin dans la forêt » est la réponse du collectif Les espaces verts à l’appel à projet « Vassivière Utopia ». Voir https://ciapvassiviere.org/item/258 ↩︎

  66. voir Besse Jean-Marc, La nécessité du paysage, Ed. Parenthèses, 2018. ↩︎

  67. Marot Sébastien, op. cit. ↩︎

  68. Graham Wallas, The Art of Thought (London: Solis Press, 1926); Brewster Ghiselin, The Creative Process: Reflections on the Invention of Art, Reissue édition (Berkeley: University of California Press, 1985). ↩︎

  69. Nadia Arab, « La coproduction des opérations urbaines: coopération et conception », Espaces et sociétés, no 105‑106 (2001): 57‑82; Joël Idt, « Le pilotage des projets d’aménagement urbain : entre technique et politique. Une analyse basée sur les cas de Paris, Lille, et Chartres » (Université Paris VIII Vincennes-Saint Denis, 2009), https://theses.hal.science/tel-00468424. ↩︎

  70. Howard Saul Becker, Art Worlds (Berkeley: University of California Press, 1982). ↩︎

  71. Nathalie Mercier et Jodelle Zetlaoui-Leger, « L’exercice de la programmation architecturale et urbaine en France. Analyse d’un processus de professionnalisation », in La fabrication de la ville. Métiers et organisation, éd. par Véronique Biau et Guy Tapie (Editions Parenthèses, 2009), 87‑101, https://hal.science/hal-01810497. ↩︎

  72. Maryne Buffat & François Meunier, « La programmation urbaine, entre projet politique et projet urbain », Métropolitiques, 2014, https://metropolitiques.eu/La-programmation-urbaine-entre.html. ↩︎

  73. Adrian George, The Curator’s Handbook: Museums, Commercial Galleries, Independent Spaces, Illustrated Edition (New York: Thames & Hudson, 2015). ↩︎

  74. Michel Corajoud, « Le projet de paysage. Lettre aux étudiants », in Le jardinier, l’artiste et l’ingénieur, par Jean-Luc Brisson (Besançon: Ed. de l’imprimeur, 2000), 36‑51. ↩︎

  75. Bernard Lassus, « L’inflexus ou l’inflexion du processus de l’évolution ordinaire des lieux », in Les temps du paysage: actes du colloque tenu à Montréal, les 23 et 24 septembre 1999, éd. par Gérald Domon et al. (Montréal: Presses de l’Université de Montréal, 2003). ↩︎

  76. Cyrille Marlin, « Faire comme c’est écrit dans le CCTP. Le discours technique du CCTP confronté à l’économie du jardin », Les Carnets du Paysage, no 32 (2007): 44‑55. ↩︎

  77. Les Carnets du Paysage, le chantier, ENSP-Actes Sud, vol. 32 (Arles, 2017), https://www.librairie-delamain.com/livre/9782330080259-les-carnet-du-paysage-n-32-le-chantier-les-carnets-du-paysage/. ↩︎

  78. Simon Colwill, « Time, Patination and Decay: The Agents of Landscape Transformation » (ECLAS 2017, University of Greenwich Department of Architecture, 2017), https://doi.org/10.14279/depositonce-9279. ↩︎

  79. Denis Delbaere, Altérations paysagères: pour une théorie critique de l’espace public (Marseille: Parenthèses, 2021). ↩︎

  80. Jérôme Denis et David Pontille, « Le soin des choses : l’émergence des maintenance studies », La Revue du Crieur, no 15 (2020): 149. ↩︎

  81. Jérôme Denis et David Pontille, « Material Ordering and the Care of Things », Science, Technology, & Human Values 40, no 3 (1 mai 2015): 338‑67, https://doi.org/10.1177/0162243914553129; Sandra Laugier, « Care, environnement et éthique globale », Cahiers du Genre 59, no 2 (2015): 127‑52, https://doi.org/10.3917/cdge.059.0127; Claire Tollis, « Les spatialités du care Une autre géographie des espaces naturels dits « protégés » », Éthique, politique, religions 2013 – 2, n° 3. Prendre soin de la nature et des hommes, 2014, 103‑20, https://doi.org/10.15122/isbn.978-2-8124-2120-4.p.0103. ↩︎

  82. Caroline Ibos, « Mierle Laderman Ukeles et l’art comme laboratoire du care. “Lundi matin, après la révolution qui s’occupera des poubelles ?” », Cahiers du Genre 66, no 1 (2019): 157‑79, https://doi.org/10.3917/cdge.066.0157. ↩︎

  83. Camille Paulhan, « De Dieter Roth à Michel Blazy, le protocole en question », Marges. Revue d’art contemporain, no 18 (1 mai 2014): 10‑26, https://doi.org/10.4000/marges.856; Marianne Lanavère et Michèle Atchadé, « Marianne Lanavère. Matière à paysage – champs d’imaginaires », Marges. Revue d’art contemporain, no 18 (1 mai 2014): 104‑13, https://doi.org/10.4000/marges.890. ↩︎

  84. Hadi Zamanifard, Tooran Alizadeh, et Caryl Bosman, « Towards a Framework of Public Space Governance », Cities 78 (2018): 155‑65, https://doi.org/10.1016/j.cities.2018.02.010. ↩︎

  85. Marcel Duchamp, Le Processus créatif, 1er édition (L’ Echoppe, 1957). ↩︎

  86. Dominique Berthet, « Production et réception de l’œuvre », in L’incertitude de la création, Arts et esthétique (Presses universitaires des Antilles, 2021), 145‑53, https://www.cairn.info/l-incertitude-de-la-creation–9791095177142-p-145.htm. ↩︎

  87. Carole Bisenius-Penin, « Entre création et médiation : les résidences d’écrivains et d’artistes : introduction », Culture & Musées. Muséologie et recherches sur la culture, no 31 (2018): 11‑23, https://doi.org/10.4000/culturemusees.1548. ↩︎

  88. Marie-Hélène Bacqué et Mario Gauthier, « Participation, urbanisme et études urbaines », Participations, no 1 (2011): 36‑66. ↩︎

  89. Jodelle Zetlaoui-Léger et Michael Fenker, « Maîtrise d’usage », in Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la Participation, 2022. ↩︎

  90. Gilles A. Tiberghien, Land Art (Paris: Dominique Carré, 2012). ↩︎

  91. Martine Bouchier, « Territoires esthétiques », in Esthétiques des espaces publics (Paris: L’Harmattan, 2014), https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01552079. ↩︎

  92. Anne-Françoise Penders, En Chemin-Le Land Art / Partir (Bruxelles: Exhibitions International, 2000). ↩︎

  93. Martin Nadaud, « Retour sur le retour à la terre au temps du Land Art », Inter - Art actuel, no 131 (2019): 58‑61, https://id.erudit.org/iderudit/89888ac. ↩︎

  94. Voir les photographies de l’oeuvre de Dominique Ghesquière https://www.navigart.fr/fracartothequenouvelleaquitaine/artwork/dominique-ghesquiere-ombres-electriques-410000000022145 (consulté le 19 juillet 2024) ↩︎

  95. Voir la présentation de la programmation Transhumance : https://www.cnap.fr/transhumance (consulté le 19 juillet 2024) ↩︎

  96. Voir l’appel à candidature Vassivière Utopia 2020 https://www.artsenresidence.fr/site/assets/files/vassivie_re_utopia-appel_a_candidature-2020-deadline_26_janvier.pdf (consulté le 01/08/2024) ↩︎

  97. Bisenius-Penin, « Entre création et médiation : les résidences d’écrivains et d’artistes : introduction ». ↩︎

  98. Cristina Badulescu et Valérie-Inès de La Ville, « Résidences de création et médiations dans le secteur de la bande dessinée : le cas de la maison des auteurs d’Angoulême », Culture & Musées. Muséologie et recherches sur la culture, no 31 (19 décembre 2018): 117‑38, https://doi.org/10.4000/culturemusees.1868. ↩︎

  99. Cécile Rabot, « La littérature en dispositif de politique publique. Les résidences d’écrivains franciliennes entre création et territoires », Culture & Musées. Muséologie et recherches sur la culture, no 31 (2018): 49‑70, https://doi.org/10.4000/culturemusees.1622. ↩︎

  100. http://www.nouveauxcommanditaires.eu/fr/44/le-protocole (consulté le 22 juillet 2024) ↩︎

  101. L’atelier 1:1 pour l’oeuvre Plateforme installée à Eymoutiers lors de l’édition 2018 ou l’association entre deux agences Atelier Gama et Biachimajer (www.atelier-gama.com / www.bianchimajer.com) pour l’oeuvre Moment 03 réalisée à Quenouille lors de l’édition 2019. ↩︎

  102. L’atelier Bivouac www.atelierbivouac.com pour l’oeuvre de La Clairière à Saint Martin-Chateau Ejo.coopérative www.ejo-cooperative.com pour l’oeuvre “Voir l’eau du lac” réalisé à Beaumont-du-Lac, réalisée lors de l’édition 2018. ↩︎

  103. Les équipes formées par Nina Chalot et Forall Studio (https://forallstudio.com/) pour l’oeuvre Erosion à Saint-Amand-Le-Petit lors de l’édition 2020 de Vassivière Utopia ou encore celle formée par l’Atelier du Sillon (www.atelierdusillon.fr) et Philippe Deubel pour l’oeuvre Trois petits patrimoines à Nedde en 2020. ↩︎

  104. Télé Millevaches est un média rural associatif fondé en 1986 installé sur le plateau Millevaches, il diffuse essentiellement en ligne. Il a été impliqué pour le projet de la Fauvette réalisé à Faux-la-Montagne par le collectif Bureau Baroque lors de l’édition 2019. ↩︎

  105. Becker, Art Worlds. ↩︎

  106. Nicolas Aubouin et Emmanuel Coblence, « Les Nouveaux Territoires de l’Art, entre îlot et essaim », Territoire en mouvement Revue de géographie et aménagement. Territory in movement Journal of geography and planning, no 17‑18 (2013): 91‑102, https://doi.org/10.4000/tem.2030. ↩︎

  107. Clément Boudin, membre de l’Amicale Mille Feux s’est présenté aux élections municipales de 2020 et a été élu conseiller municipal. ↩︎

  108. Michel Lallement, L’âge du faire. Hacking, travail, anarchie (Paris: Seuil, 2015). ↩︎

  109. Richard Sennett, Ce que sait la main : la culture de l’artisanat (Paris: Albin Michel, 2009). ↩︎

  110. Tim Ingold, Faire: anthropologie, archéologie, art et architecture, Editions Dehors (Bellevaux, 2017). ↩︎

  111. Voir les informations sur le RIS : https://lemarche.inclusion.beta.gouv.fr/prestataires/relais-infos-services-87/ (consulté le 01/08/2024) ↩︎

  112. Marion Ernwein, « Jardiner la ville néolibérale. La fabrique urbaine de la nature » (Genève, Faculté des Sciences de la société de l’Université de Genève, 2015). ↩︎

  113. Marie-Sylvie Poli, Le texte au musée : une approche sémiotique (L’Harmattan, 2002), https://hal.science/hal-00789312; Julie Desjardins et Daniel Jacobi, « Les étiquettes dans les musées et les expositions scientifiques et techniques », 1992, https://doi.org/10.3406/pumus.1992.1234. ↩︎

  114. Paulhan, « De Dieter Roth à Michel Blazy, le protocole en question ». ↩︎

  115. Nelson Goodman, Langages de l’Art (Paris: Fayard/Pluriel, 2011). ↩︎

  116. Marianne Lanavère et Michèle Atchadé, « Marianne Lanavère. Matière à paysage – champs d’imaginaires », Marges. Revue d’art contemporain, no 18 (2014): 104‑13, https://doi.org/10.4000/marges.890. ↩︎

  117. Le Bois de sculpture compte plusieurs œuvres à protocole : la “prairie fleurie” de Gilles Clément peut être replantée saison après saison, le géoglyphe de Yona Friedman “La Licorne de Vassivière” est redessiné chaque année suivant le protocole laissé par l’architecte. Mais c’est sans doute “Waldputz” l’oeuvre de l’artiste allemand Michael Sailstorfer dont le protocole consiste à “nettoyer la forêt” selon des principes précisement définis https://www.patrimoine-nouvelle-aquitaine.fr/Default/des-oeuvres-vivantes-sur-lile-de-vassiviere.aspx (consulté le 24 juillet 2024) ↩︎

  118. Gilles Clément, Le jardin en mouvement: de la vallée au jardin planétaire (Paris: Sens & Tonka, 2001). ↩︎

  119. Jean-Marc Besse, Habiter: un monde à mon image (Paris: Flammarion, 2013). ↩︎

  120. Mathilde Sauzet, « Sanitation Mierle Laderman Ukeles : l’art de la maintenance », Strabic, 2018, http://strabic.fr/Mierle-Laderman-Ukeles-Sanitation. ↩︎

  121. Joan C. Tronto, Un monde vulnérable: pour une politique du care (Paris: Éditions la Découverte, 2009); Carol Gilligan, Une voix différente: la morale a-t-elle un sexe ? (Paris: Flammarion, 2019). ↩︎

  122. Laugier, « Care, environnement et éthique globale »; Tollis, « Les spatialités du care Une autre géographie des espaces naturels dits « protégés » ». ↩︎

  123. Thierry Paquot, « Ménager le ménagement », Topophile, 2021. ↩︎

  124. Voir l’oeuvre en 2017 “A la mémoire de Raymond Goût” réalisée par le collectif Les Super Rangeurs (Marion Ponsard et Claire Vulliez) https://www.maisondelaculture-amiens.com/en/oeuvre/a-la-memoire-de-raymond-gout-2017/ (consulté le 29 juillet 2024) ↩︎

  125. https://lesespacesverts.tumblr.com/fonderie (consulté le 29 juillet 2024) ↩︎

  126. Voir le dépliant de Vassivière Utopia https://www.calameo.com/read/0058651566bfe782c6933 (consulté le 29 juillet 2024) ↩︎

  127. Cette orientation est conditionnée par le mode de financement obtenu par le CIAPV pour le programme Vassivière Utopia. Lorsque La Caisse des dépôts et consignations lui octroie 150 000€ pour une durée de 3 années et la réalisation de 9 oeuvres dans 9 communes du Pays de Vassivière, il s’agit pour l’institution de soutenir la jeune création architecturale et paysagère qui est un des axes de son action de mécénat https://www.caissedesdepots.fr/mecenat/architecture-et-paysage (consulté le 01/08/2021) ↩︎

  128. Le diplôme d’État de paysagiste (DEP) remplace le diplôme de paysagiste DPLG (diplômé par le gouvernement) conférant le grade de master. ↩︎

  129. Voir appel à résidence Vassivière Utopia ↩︎

  130. Lassus, « L’inflexus ou l’inflexion du processus de l’évolution ordinaire des lieux »; Corajoud, « Le projet de paysage. Lettre aux étudiants ». ↩︎

  131. Jean-Marc Besse, « Cartographier, construire, inventer. Notes pour une épistémologie de la démarche de projet », Carnets du Paysage, 2001, 127‑45. ↩︎

  132. Lassus, « L’inflexus ou l’inflexion du processus de l’évolution ordinaire des lieux ». ↩︎

  133. Jean-Marc Besse, La nécessité du paysage (Marseille: Parenthèses, 2018). ↩︎

  134. Zetlaoui-Léger et Fenker, « Maîtrise d’usage ». ↩︎